LES PERSONNAGES SOLIMAN ERASTE ACHMAT PIRRUS HALY PERSIDE HERMINIE ALCOMIRE ORMANE TROUPE DE JANISSAIRES La Scène est au Sérail, de dehors à Constantinople. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Soliman, et sa suite, Eraste, Herminie, et suite ; Dès l'ouverture du Théâtre paraîtront des deux côtés les drapeaux de Rhodes et ceux de Bellegrade. En quel état, Seigneur, faut-il que je paraisse ? Quel rang dois-je tenir auprès de ta Hautesse ? Si devers ces drapeaux elle tourne les yeux Elle me recevra comme victorieux, Mais de l'autre côté ces marques de ta gloire Par un pompeux éclat effacent ma victoire, Et ces nobles témoins à mes yeux trop connus M'apprennent que je suis au rang de tes vaincus : En quelque état pourtant que je puisse paraître Ou vainqueur ou vaincu, je reconnais mon maître Trop heureux si de toi j'obtiens la qualité De sujet plein de zèle et de fidélité. Rhodes par ta valeur à tes lois asservie Et moins digne à mes yeux de pitié que d'envie, Et je vois sans regret mon Pays abattu Rendre un illustre hommage à ta haute vertu, Si lorsque tu le pris pour objet de tes armes Je refusai d'y mener tes gens d'armes, Ce n'est pas que son sort ne me fut apparent Mais c'est que je voulais qu'il t'eut pour conquérant Et que la qualité du bras qui le surmonte Par le rang du vainqueur diminuât sa honte, Contre lui ta Hautesse a fait un juste effort Et moi je ne pouvais le combattre sans tort, Je me rendais ingrat, attaquant ce rebelle, J'étais traître envers lui, si je t' étais fidèle ; Et quelque heureux succès qu'eut produit ma valeur Mon triomphe eut sans doute étouffé mon honneur, Au lieu que par une autre et plus juste victoire J'ai signalé Seigneur ton nom et ma mémoire, Soumis à ton Empire un Royaume puissant Et forcé le Soleil à craindre le Croissant, Tu me fais tort Eraste, et ton respect m'offense Si retournant vainqueur de l'effroi de Byzance, Après ce grand exploit tu peux encore douter En quelle qualité tu te dois présenter, Ton insigne valeur te peut assez apprendre Auprès de Soliman le rang que tu dois prendre, Et nonobstant l'orgueil d'un suprême pouvoir Je sais bien de quel front je te dois recevoir, Je lis sur ces drapeaux le destin des Rebelles La prise de Belgrade, et la mort de Gazelles, Qui sans doute en ses murs aima mieux s'enterrer Que d'attendre sa prise ou que s'en retirer. Tu l'as dit Soliman, il est mort ce rebelle Oui Seigneur, il est mort, mais sa mort est si belle, Et son dernier moment le rend si glorieux Que son trépas sans doute a fait des envieux, Il est mort : mais comment ? dans les bras de la gloire Après m'avoir deux fois arraché la victoire, Et contraint tes soldats de céder aux efforts Que son bras foudroyant fit sentir aux plus forts, D'abord que par ton ordre il me voit en campagne Il quitte les remparts, il sort, il me dédaigne, Et superbe avançant à la tête des siens Sans attendre le choc il attaque les miens En ce premier abord sa valeur ou sa rage Malgré ma résistance a beaucoup d'avantage, Dans sa témérité son dessein réussit La mort va par les rangs que son fer éclaircit Et je me vois réduit en ce désordre extrême Par un beau désespoir de me perdre moi-même, Ou de rendre au soldat de frayeur abattu Par un trait généreux sa première vertu. Voyant donc que la peur d'une entière défaite Lui faisait méditer une indigne retraite, Et que les plus hardis cédant de toutes parts Tâchaient de se sauver avec leurs étendards Je me saisis du tien d'une ardeur infinie Et le lance au travers de l'armée ennemie, A cet objet chacun sent un noble courroux La honte les ranime et les ramène aux coups, Où toujours le dépit embrasant leur courage L'ennemi cède enfin à ce dernier orage Et mon Rival superbe est trop tard averti Que l'heur qui le suivait à quitté son parti. Presque seul il demeure engagé dans la presse Il ne s'étonne pas, il frappe, il tue, il blesse, Il attaque, il défend, et son courage est tel Que parmi tant de morts il parait immortel : On le craint, on l'admire, on fuit à sa rencontre, Je le cherche, et bientôt sa valeur me le montre, Je l'arrête, et de peur qu'en ce combat fatal Il m'échappe, je joins et j'abats son cheval, Prévoyant le danger l'insolent saute à terre Et me rend la pareille à coups de cimeterre : Nous voyant main à main, tous deux piqués d'honneur Tous deux sans avantage et tous deux pleins de cour, Compagnons dis-je aux miens laissez-moi cette gloire Que je puisse tout seul achever la victoire ! A moi seul appartient ce généreux effort ! Soyez donc seulement les témoins de mon sort ! J'ordonne, on m'obéit, notre combat commence, J'attaque mon Rival, il se met en défense, Et sait si vaillamment soutenir mon assaut Que plus il perd de sang plus son courage est haut : Mais malgré ce grand cour sa force enfin le laisse Son corps percé de coups chancelle de faiblesse, Et se voyant ainsi sur le point de périr : Je n'ai pu me dit-il te vaincre, il faut mourir C'est à quoi maintenant mon honneur me convie Et je vais satisfaire à cette illustre envie, Je le veux empêcher, mais inutilement Car son fer est plus prompt que mon empêchement. Il tombe, et par ce trait d'une constance extrême Ce grand cour en mourant triomphe de lui-même, Puisque Rhodes produit de si braves guerriers Par là juge combien m'ont coûté mes lauriers , Juge pour asservir un peuple opiniâtre. Combien nous avons eu d'Erastes à combattre , Certes, lorsque j'ai vu des cours si résolus J'ai cru plus d'une fois mes desseins superflus, Et que mille vaisseaux combattant leur audace Reverraient sans effet le Bosphore de Thrace. Mais enfin ma valeur et le sort m'ont soumis Les plus déterminés de tous mes ennemis, Tu sauras le succès de toutes nos batailles ; Mais c'est assez parlé de funérailles, Il est temps que la paix succède à tant de maux Et que je donne un prix à tes nobles travaux. J'ai reçu de tes mains le fruit de ta conquête Et de ma part aussi la récompense est prête, Vois cet objet divin, cette illustre beauté Où préside la grâce avec la majesté ! Je te la donne Eraste, et crois qu'en Herminie Je te fais un présent de valeur infinie. Il est vrai que le sort l'a soumise à mes lois Mais son mérite peut se soumettre des Rois ; Et moi-même aujourd'hui je confesse sans honte Que malgré mes efforts sa beauté me surmonte, Et qu'ici tous mes sens révoltés contre moi Ne la céderaient pas à tout autre qu'à toi. Puisque ce rare objet a l'honneur de te plaire Ton Eraste Seigneur, n'est pas si téméraire, Que de jeter les yeux ou des voeux indiscrets Sur un bien qui pourrait te coûter des regrets. Tu ferais trop pour moi donnant cette Princesse Elle a des qualités dignes de ta hautesse Et si je consentais au don que tu me fais Ta générosité trahiraient tes souhaits. Ne fais point cet effort où ton rang te dispense, L'honneur de te servir m'est trop de récompense. De tes contentements je forme mes plaisirs, Et ce rare bonheur borne tous mes désirs. Eraste, encore un coup je t'avouerai sans feinte Que pour cette beauté je ressens quelqu'atteinte, Mais quelques doux attraits qu'ait un bien si charmant Ton insigne valeur me touche également, Et voyant ton ardeur et si pure et si forte, Sur mes affections ton mérite l'emporte. Puisque tes volontés se forment de mes voeux Ne me conteste plus ce laurier que je veux, J'ai fait sur mon amour triompher ta vaillance, Laisse-toi maintenant vaincre à ma bienveillance Accepte de ma main... Quoi vous me résistez ? Comme il va pour prendre la main à Herminie, elle refuse. D'où provient cet orgueil ? Naît-il de vos beautés ? Quoi ? parce que j'ai dit qu'elles m'ont fait esclave Cet oeil impérieux fait le vain, et me brave ? Obéissez Madame, et vous connaissez mieux. Je me connais Seigneur, et j'atteste les Dieux, Que ce que ta hautesse a pris pour arrogance Est un trait de courage autant que de prudence, Je sais ce que je suis, et ce que je te dois, Je sais que le destin m'a soumise à tes lois, Et je n'ignore pas que j'aurais peu de grâce En un si triste état de montrer de l'audace. Mais mon fort ne rend pas mon esprit si confus Qu'il ne me sache au mépris opposer le refus. Vous redoutez un mal qui n'a point d'apparence Quoi ces profonds respects, et cette déférence, Qu'à votre occasion Eraste m'a fait voir Vous choquent. Non Seigneur, il a fait son devoir, Il te doit cet honneur, il te doit cet hommage. Quel est donc ce mépris que craint votre courage ? Celui que ta Hautesse eut enfin reconnu Si ma juste froideur ne l'eut pas prévenu. Eraste, as-tu conçu quelque haine pour elle ? Je ne suis pas si lâche, et Madame est trop belle. Il en est à vos yeux de plus belles que moi. Mais s'il vous aime enfin recevrez-vous sa foi ? Alors que j'aurai vu des effets de sa flamme Il verra le pouvoir qu'il aura sur mon âme. En louant vos beautés il montre son amour La louange est un bien qu'on produit à la Cour Et qu'Eraste obligeant donnerait à toute autre, S'il voyait un mérite aussi grand que le vôtre, Ces compliments adroits et ces subtilités Font voir bien moins d'amour que de civilités, Avant que mon cour aime et que ma foi s'engage Je veux d'autres devoirs qu'un frivole langage. Un courage si franc est rarement trompeur, Le temps seul me pourra guérir de cette peur, Il faut à ses désirs accorder quelque chose J'obéis sans contrainte a la loi qu'elle m'impose Certain que mon amour et ma fidélité, Seront un rare exemple à la postérité. Voila déjà Madame un effet de vos charmes, J'en doute. Cependant va mettre bas les armes. Et puis viens témoigner que tu peux tour-à-tour Joindre aux Lauriers de Mars les myrtes de l'amour. SCÈNE II. Soliman. Herminie et suite. Ne dissimulez plus belle et sage Herminie Dites-moi franchement toute feinte bannie, D'où naissent vos froideurs, et quelle opinion Vous porte pour Eraste à tant d'aversion ? Quel est le fondement de votre défiance ? Est-ce une conjecture, ou quelque expérience ? A-t-il autrefois vu vos célestes beautés ? L'orgueil a-t-il paru parmi ses qualités ? A-t-il trompé vos voeux par des promesses vaines ? Poussé de faux soupirs, entretenu vos peines ? Ou croyez-vous enfin qu'en quelque occasion Il ait manqué d'amour, ou de discrétion ? Non Seigneur, ton Eraste est la même prudence Il est noble, il est franc, il est sans insolence, Et bien qu'il n'ait jamais jeté les yeux sur moi Je sais pourtant qu'il est plein d'ardeur et de foi, Que sa discrétion jointe à sa modestie N'est de ses qualités que la moindre partie, Et qu'il n'est point de cour quelqu'orgueil qu'il ait eu Qui n'ait plus d'une fois envié sa vertu. Pourquoi donc auprès d'elle êtes-vous sans atteinte ? Elle me toucherait si j'avais moins de crainte. Mais la crainte est injuste ou tout est si parfait. De ses perfections c'est pourtant un effet. Mais vous-même avouez que son âme est fidèle, Et je crains justement à cause qu'elle est telle. Ce discours est obscur parlez plus clairement. C'est qu'il aime Seigneur un objet si charmant, Qu'en vain j'espérerais de porter son courage A me rendre jamais un volontaire hommage, Il aime trop ses fers, il les trouve trop beaux Pour vouloir de ma main en prendre de nouveaux. Connaissant une amour et si rare et si forte Mais on nous interrompt. Qu'est-ce ? achevez n'importe. Non Seigneur, ta Hautesse aura plus de plaisir Si je t'en entretiens avec plus de loisir, Cet éclaircissement est de trop longue haleine Bien donc à tantôt. SCÈNE III. Soliman. Herminie et suite. Parlez, qui vous amène ? Je te viens avertir qu'Achmat vient d'arriver Il demande à te voir Qu'il me vienne trouver Je crois pour cet effet qu'il attend à la porte, Qu'il entre. N'est-il pas à propos que je sorte ? Vous le pouvez. Adieu. SCÈNE IV. Soliman, Pirrus, Achamt, Perside, et suite. Que vois-je justes Dieux ? Quel Ange de lumière apparaît à mes yeux ? Celle qu'on dit jadis qui régnait en Cythère Et qu'autrefois amour avoua pour sa mère, Bien qu'on l'ait estimée une divinité N'eut jamais tant d'attraits qu'en à cette beauté. Mais peut-être qu'aussi n'est-elle pas mortelle. Qu'est-ce donc cher Achmat ? Dites-moi, que veut-elle ? Attendrait-elle bien quelque grâce de nous ? Ah ! J'implore la sienne, et l'attends à genoux. Ah Seigneur que fais-tu ? Quoi Soliman s'abaisse ! Ah cet abaissement offense ta Hautesse, Cet honneur t'appartient, il est de son devoir Elle te le doit rendre et non le recevoir, Ta puissance aujourd'hui sur elle souveraine En peut faire une esclave. Ou plutôt une Reine Oui Madame, espérez de mon affection Des faveurs au-delà de votre ambition, Attendez tout de moi grandeur, sceptre, couronne Richesses, dignités, je vous les abandonne Et loin de vous traiter avec quelque rigueur A tous ces beaux présents je veux joindre mon cour. Après avoir senti la fureur de tes armes Tes faveurs Soliman ont pour moi peu de charmes Et j'aurais peu de grâce en l'état ou je suis De recevoir tes dons quand tu fais mes ennuis : Ton amour de trop près suit ici ta furie Ta main dégoutte encor du sang de ma Patrie Et de quelque côté que je tourne les yeux Je vois de nos malheurs les témoins odieux, Garde donc tes présents, et crois si je respire Que mon ambition n'est pas pour un Empire, Qu'un plus juste désir me conservait le jour, Mais mon espoir est mort. Et non pas mon amour, Cessez chère beauté de m'être si cruelle. Ou si vous imitez cette ville rebelle. Dont l'obstination ma bravé si longtemps Et coûté pour l'avoir cent mille combattants, Permettez pour le moins à ce cour qui vous aime Qu'il espère qu'un jour vous en ferez de même, Et qu'après cent combats mon invincible amour Pourra de vos rigueurs triompher à son tour. Je mets en ce bonheur le comble de ma gloire Et si j'obtiens sur vous cette illustre victoire, Tout l'Univers conquis par mes nobles travaux Sera la récompense et le prix de mes maux. Non, ne te flattes point d'une vaine espérance Rhodes a succombé, mais non pas ma constance, Et quoique son destin m'ait mis en ton pouvoir Je sais bien quelles lois mon cour doit recevoir, Il est tel que malgré ta puissance suprême Il me rendra toujours arbitre de moi-même, Tu me peux mettre aux fers et m'y faire souffrir Mais non pas s'il me plaît m'empêcher de mourir. Vos yeux ont des appâts trop puissants et trop rares Pour produire en mon cour des effets si barbares, Les tourments ni les fers ne sont pas faits pour vous Et vous tâchez en vain d'exciter mon courroux, Ce noble orgueil me plaît, cette rigueur me charme Si le dépit m'aigrit, la pitié me désarme, Et dit tacitement à mon cour amoureux Que le seul désespoir vous rend sourde à mes voeux Que le temps et mes soins vous rendront plus sensible, Et qu'enfin vous perdrez le titre d'invincible, Alors que vos esprits de douleur accablés Dans un lieu de repos se verront moins troublés. Flatté de cet espoir je consens dés cette heure Que ce prochain Palais vous serve de demeure. Prenez-en soin Achmat. Que mon sort serait beau Si plutôt qu'un Palais il m'offrait un tombeau. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Soliman, Herminie, Achmat, Pirrus. Mais me dites-vous vrai ? quoi, cette belle Esclave Qui méprise mes voeux, qui me fuit, qui me brave Est cet objet charmant dont vous vouliez parler Quand l'abord de Pirrus nous est venu troubler ? Ah ! certes si c'est là cette Illustre Perside Qui put porter Eraste à ce juste homicide, Dont le coup l'a forcé de venir en ma Cour Je ne m'étonne plus d'un si parfait amour, Je ne m'étonne plus qu'il vous ait refusée Ni qu'elle est à mes yeux ma grandeur méprisée. Un feu si bien épris s'éteint malaisément Et le cour qui le sent brûle éternellement. Oui c'est elle Seigneur, dès qu'on te l'a nommée Dans mon opinion je me suis confirmée. Et ce nom si célèbre a donné du crédit Aux merveilles qu'Achmat devant toi m'en a dit, Il est vrai que charmé de sa grâce infinie Eraste peut sans tort mépriser Herminie, Mais Perside Seigneur, avec peu de raison T'a fait voir tant d'orgueil assez hors de saison Quand les rigueurs du sort nous rendent malheureuses Il sied bien quelquefois d'être un peu généreuses, Mais lorsqu'un tel vainqueur no' réduit à ce point Il faut à ce grand cour que le respect soit joint, Et que l'humilité retenant notre langue Nos pleurs et nos soupirs fassent notre harangue. Celles qui pour le jour ont encore du souci Doivent dans les malheurs se gouverner ainsi, Mais quand le désespoir rend la vie importune On n'a plus de respect, on brave la fortune. Et pour hâter ses coups au lieu de la flatter Par des termes hardis on tâche à l'irriter. Je le veux croire Achmat, mais l'exemple en est rare La vie est un trésor dont chacun est avare, Un malheureux Amant court toujours au trépas Il en fait les desseins, mais il ne le suit pas, Il l'appelle à son aide au mal qui le tourmente, Mais alors qu'il parait, son abord l'épouvante Et force sa raison d'avouer à son tour Qu'il n'est rien ici-bas de si cher que le jour. La frayeur peut beaucoup sur un esprit timide Mais elle ne peut rien sur celui de Perside, Un cour comme le sien est capable de tout Il n'est point de dessein dont il ne vienne à bout, Prends-y garde Seigneur, ordonne qu'on la veille Où tu perdras bientôt cette rare merveille, Qui sans ma vigilance et mes soins assidus Eut rendu par sa mort mes travaux superflus, Et ravi le bonheur d'offrir à ta Hautesse Le plus charmant objet qu'ait jamais vu la Grèce, Quoi ? Contre ses beaux jours a-t-elle armé sa main ? Oui, mais ayant prévu ce projet inhumain, Je l'ai depuis toujours de si près observée Que de ses propres mains enfin je l'ai sauvée. Où la trouvâtes-vous ? Au fonds de son palais Où n'attendant plus rien d'autre qu'un succès très mauvais, Cette fière beauté toute désespérée S'était lors pour mourir sans doute retirée. Car lorsque j'approchai de son appartement J'entendis ce discours qu'elle tint hautement , Cher Eraste flatté d'une vaine espérance Mon cour a jusqu'ici témoigné sa constance, Mais puisque le destin ruine mon espoir Souffre enfin qu'il te rende un funeste devoir, Reçois de ta Perside... À ces mots je m'avance Et m'ayant fait passage avec violence, Je la trouve troublée, et le fer en main Haut et prêt d'achever son tragique dessein, Aussitôt arrêtant cette main criminelle J'arrache son poignard, et je me saisis d'elle, Mais elle me fait voir par un autre transport Le regret qu'elle avait d'avoir manqué sa mort, Maudissant son salut et me faisant entendre Que celui des vaincus est de n'en plus attendre, Perside ignore donc qu'Eraste soit ici, Sans doute, et sur ce point je me suis éclairci. Car voulant consoler cette belle affligée, Et rendre par l'espoir sa douleur allégée, Je lui dis que bientôt elle pourrait revoir, La cause de sa flamme et de son désespoir Qu'Eraste, à ce beau nom ses yeux fondant en larmes Elle rompt ses cheveux, elle outrage ses charmes, Et poussant vers le ciel un pitoyable hélas ! Eraste me dit-elle a senti le trépas, Il est mort, il est mort, et je le voulais suivre, Lorsque ta cruauté m'a contrainte de vivre, Vous vous trompez lui dis-je Ah ! s'il vivait encore, Reprit-elle, il aurait défendu son trésor, Je sais qu'il m'estimait beaucoup plus que sa vie Et qu'il n'aurait pu voir que je fusse asservie, On l'aurait vu, dit-elle, au milieu des hasards Le Cimeterre au poing défendre nos remparts, Ou par sa chère vue empêcher sa Perside De se rendre aujourd'hui de soi-même homicide, Il est donc au tombeau j'en douterais en vain, Autant que mes malheurs son trépas est certain, Je vis pourtant Achmat, mais je suis assurée Que ma perte n'est pas pour longtemps différée, Et que malgré vos soins, et la force, et le sort Je saurai bien rejoindre Eraste par ma mort Nous l'espérons en vain amour que dois-je faire ? La dois-je abandonner ? me dois-je satisfaire ? Écouter mes désirs, la contraindre, ou céder ? La rendre à son Eraste, ou bien la posséder ? Quand je pense aux attraits dont l'ingrate est pourvue Je ne puis étouffer l'amour que j'ai conçu, Je sens que son ardeur s'accroît à tout moment Et que mon cour se plaît en ce noble tourment, Mais d'ailleurs quand je songe à cette belle flamme Qui depuis si longtemps triomphe dans son âme, Quand je vois cet esprit et si grand et si fort Soupirer pour Eraste ou courir à la mort, Ma raison aussitôt pour elle se déclare, Et sa fidélité si constante et si rare, Force ma passion à modérer ses feux Et de se relâcher en faveur de ses voeux, Eraste d'autre part que j'aime, et qui l'adore Qui nourrit dans son sein un feu qui le dévore, Eraste dont sans doute elle a reçu la foi Eraste qui ne vit que pour elle et pour moi, Eraste son amour, Eraste mes délices Cet Eraste en un mot qui par mille services, A vaincu ses dédains et m'a gagné le cour Se présente à mes sens en superbe vainqueur, Et semble reprocher à mon âme enflammée, Qu'à tort je lui ravis cette personne aimée. Soliman Soliman, enfin que résous-tu ? Quitte quitte l'amour, écoute la vertu, Par un beau sentiment et d'honneur et de gloire Emporte sur toi-même une illustre victoire, Et montre à l'Univers par ce dernier effort Que pour te résister il n'est rien d'assez fort. Qu'on les fasse venir. Achmat va quérir Perside, et Pirrus, Eraste. SCÈNE II. Soliman, Herminie. Vous verrez Herminie Ce que peut la vertu sur un noble Génie, Certes par cet effet de générosité Tu forces tous les cours d'admirer ta bonté, Et l'on doit avouer que ces aimables charmes Te font plus aujourd'hui d'Esclaves que tes armes, Quoi tenir en tes mains un si riche trésor Un butin, plus charmant que les perles et l'or, Un miracle d'amour une rare merveille, Une beauté parfaite ainsi que sans pareille Un chef-d'ouvre accompli de nature et des cieux, Et digne enfin des voeux et des Rois et des Dieux, Et malgré les ardeurs de ton amour extrême En obliger un autre, et te vaincre toi-même, Ah plus je considère un tel événement Plus son divin effet confond mon jugement, Et ce puissant effort qui te rend adorable Encore qu'il soit vrai me parait incroyable. je vous le ferai voir, n'en croyez que vos yeux, Mais Perside s'avance. SCÈNE III. Soliman, Herminie, Perside, Achmat. Ah traits impérieux! Regards qui triomphez des plus superbes âmes Que je chéris vos coups, mais que je crains vos flammes ! Qu'ai-je dit ? Que ferai-je ? Hélas qu'ai-je promis ? Peux-tu vaincre mon cour de si doux ennemis ! Raison à mon secours, vertu prête tes armes, Sans toi je ne saurais m'opposer à ses charmes, Et contre mes désirs tous mes sens révoltés Vont encor sans son aide adorer ses beautés. Avancez belle ingrate, hé bien ce grand courage À qui rien ne résiste, à qui tout fait hommage, Vous porte-t-il encore à vous priver du jour, Plutôt que de prêter l'oreille à mon amour ? Est-ce un point résolu ? quoi ! n'est-il pas possible De vous rendre jamais à mes voeux plus sensible ? Considérez mon rang, regardez mes Grandeurs, Écoutez mes soupirs, et voyez mes ardeurs, Et par ce grand respect que Soliman vous porte Jugez si vous devez le traiter de la forte, Que ferez-vous enfin ? que doit-il espérer ? Le plaisir de me voir constamment endurer Et de répandre enfin et mon sang et ma vie Plutôt que de répondre à sa brutale envie. L'amour que j'ai pour vous adorable beauté Mérite à mon avis une autre qualité, Car venant de vos yeux ma flamme est aussi pure Qu'être noble élément au lieu de sa nature Et je vous puis jurer qu'en cette occasion, L'honneur et la vertu règlent ma passion. Quoi sur mes volontés vous rendre souveraine, Élever votre sort au beau titre de Reine, Soumettre à vos beautés mes Empires et moi Sont-ce les fondements des mépris que je vois, Ah ! Perside agissez avec plus de justice, Votre cour à vos voeux rend un mauvais office, De vous faire aujourd'hui par un indigne choix, Préférer le cercueil à la pourpre des Rois De même la victime en pompe couronnée Avec mille ornements au supplice est menée, On ne m'éblouit point par l'éclat des présents Les fers pour être d'or ne sont pas moins pesants, Et mon âme Seigneur, que tu crois si hautaine N' a point d'ambition pour le titre de Reine, Si le destin pour elle avait moins de rigueur Ses voeux se borneraient à posséder un cour, Mais ce cour, ô fatale et funeste mémoire Ce cour si précieux a passé l'ombre noire, Et quittant loin d'ici sa Perside et le jour Emporté quant et lui mes voeux et mon amour. Prodigieuse ardeur ? Admirable constance, Qu'opposerais-je plus à cette résistance ? Cédons cédons mon cour, c'est assez combattu Votre amour s'est fait voir, montrons notre vertu. Perside, puisqu'enfin l'éclat de ma fortune Au lieu de vous charmer vous la rend importune, Et qu'un rang moins superbe a pour vous plus d'appâts Je veux à votre sort en donner un plus bas, Un des grands de ma Cour, mes plus chères délices Qui me rend tous les jours mille illustre services, Jeune, adroit, libéral, et dont les qualités Se pourraient asservir les plus rares beautés Est le noble parti que ma main vous destine Je veux que vous l'aimiez. Ah ! Ce trait m'assassine, Je veux que vous l'aimiez, vouloir impérieux ? Disposes-tu des cours ? disposes-tu des yeux ? Je veux que vous l'aimiez ! D'où naîtra cette flamme ? Eraste n'est pas mort, Il vit dedans mon âme Il règne, il règne, encore dedans mon souvenir, Et malgré ton pouvoir rien ne l'en peut bannir Change donc si tu veux ta fatale ordonnance, Demande un autre effet à mon obéissance, Ne dis pas à ce cour je veux que vous aimiez Cruel dis-lui plutôt, je veux que vous mouriez, En ce point Soliman je suivrai ton envie, Oui commande à tes yeux qu'on m'arrache la vie, Je suis prête à mourir si tu me le permets, Mais Eraste étant mort je n'aimerai jamais. Perside un grand mérite a beaucoup de puissance, Quel qu'il soit, il sera moindre que ma constance, J'espère toutefois qu'il en sera vainqueur, Plutôt que cela soit j'arracherai mon cour, Il se laissera mieux arracher par ses charmes J'ai des moyens plus surs que de si faibles armes, Voici ce cher objet voyons votre pouvoir, Ah ! Ne m'obligez pas seulement à le voir, Ah ! Qui craint le combat redoute sa défaite. En semblables combats on vainc par la retraite SCÈNE IV. Soliman, Perside, Herminie, Achmat, Pirrus, Eraste. Eraste. Justes Dieux ! Cet adorable objet Que le sort de la guerre a rendu mon sujet, Quoi ? Tu trembles. Mes yeux, qu'avez-vous vu paraître ? Connais-tu cet objet ? Je le dois bien connaître. Ah Perfide ! ah Seigneur ! permets que devant toi Je lui rende à genoux l'honneur que je lui dois, Je sais que ce respect n'est du qu'à ta Hautesse Mais pardonne à l'amour cette juste tendresse, Perside. Cher Eraste, ah ! Que mon sort est doux Qu'heureux sont les malheurs qui me rendent à vous ? Ah ! Vous me faites tort par cette déférence Levez-vous, c'est assez, Soliman s'en offense. Certes ce rare amour ne se peut trop louer. Seigneur je suis vaincue il le faut avouer, Eraste a sur mon cour une entière puissance Et sa fidélité force ma résistance, Ta Hautesse tantôt par un arrêt charmant Ma commandé d'aimer cet adorable Amant, Je t'obéis Seigneur, j'accepte mon servage Et mes voeux t'en rendront un éternel hommage, Si pour rendre mon heur plus grand et plus parfait Tu confirmes ici le don que tu m'a fait. Eraste qu'en dis-tu ? Que mon âme est charmée À l'aspect des beaux yeux dont elle est enflammée, Que mes sens confondus en cette occasion Prennent ce que je vois pour une illusion, Et qu'en l'excès de joie ou ce bonheur me plonge Mon esprit seulement pense faire un beau songe. Je sais bien que d'abord cet objet t'a surpris, Mais rappelle tes sens, et reprends tes esprits. Eraste ton cour aime, il adore Perside, S'il ne l'adorait pas il serait un perfide C'est le premier objet qui l'a fait soupirer, Ce fut aussi sur lui qu'il apprit à tirer, Et mes yeux arrosant ses belles mains de larmes, Payèrent les premiers le tribut de ses charmes. Elle approuva mes feux et mon cour enflammé Ne l'aima pas longtemps sans qu'il en fut aimé, Si bien que mon bonheur était incomparable Si comme il était grand il eut été durable, Qui put donc traverser un si parfait amour ? Catalde un chevalier que je privai du jour, Et de qui le destin touchant toute la ville, Me fit auprès de toi rechercher un asile, Qui causa ce désordre ? Un célèbre tournois Où parut son adresse en mille beaux exploits. Oui Perside et l'amour secondant mon courage J'obtiens sur mes rivaux, un heureux avantage Là comme il importait à ma discrétion Je voulus triompher de mon ambition, Et sortir inconnu du champ de ma victoire Mais un si beau dessein fut trahi par ma gloire, Car un des soutenants jaloux ou curieux Découvrit malgré moi mon front victorieux, Et levant mon armet fit tomber une chaîne Que je portais au col en faveur de ma Reine, Ce cher et riche don d'une si belle main S'égare dans la presse. et je le cherche en vain, Catalde la remontre, il le prend, il le cache Et par une action aussi vaine que lâche, Il en fait un présent à certaine beauté Qui lors dans ses liens le tenait arrêté, L'orgueilleuse s'en pare il est vu de Perfide Elle le reconnaît, et m'estime perfide, Croyant que cet objet avait reçu de moi Cette fatale chaîne et peut-être ma foi. Alors ce faux soupçon allumant sa colère, L'ingrate me bannit, je meurs, je désespère, Mais plus par mes regrets je tâche de l'adoucir Et moins je vois d'espoir d'y pouvoir réussir, Toujours à sa pitié sa cruauté s'oppose Et je souffre un tourment dont j'ignore la cause, Le Sort enfin lassé de me voir endurer Après mille langueurs me permet d'espérer, Au fort de mes malheurs il décile ma vue Il me fait découvrir le serpent qui me tue, Et me montrant ma chaîne en une indigne main Me porte quant et quant à ce juste dessein ; Connaissant la beauté qui possédait ma perte Sans lui parler jamais que je l'avais soufferte, Je l'aborde, l'accoste, et lui faisant la Cour Je feins adroitement que je brûle d'amour, Je cajole, on me croit, elle m'est favorable Et par un faux tourment j'en cause un véritable ; Au gré de mes désirs la voyant à ce point Pour la mieux engager je ne la quitte point, Je fais le languissant, et sur tout je la presse Que par une faveur digne d'une maîtresse, Elle me fasse voir l'estime qu'elle fait D'un amour qu'à ses yeux je feignais si parfait, Sans peine à mes désirs sa volonté se range Je lui fais un présent, et par un doux échange, L'aveugle qui ne sait ou tend un pareil tour Me redonne ma chaîne et me rend mon amour, Ravi de ce butin je quitte cette Belle Mais comme en l'admirant je sortais de chez elle, Catalde me remontre et me voit en la main Ce trésor qu'il voulut me disputer en vain, Car à sa lâcheté pensant joindre l'outrage Je noyais dans son sang et sa honte, et sa rage. Après ce juste coup mon cour devait régner, Mais au contraire hélas ! Il fallut m'éloigner, Et même en ce désordre où la fureur préside Je n'eus pas le bonheur de parler à Perside, Qui reçut de ma main au défaut de mes yeux Et mes derniers devoirs et mes tristes adieux. Ah ! Cesse cher Eraste, au moins s'il t'est possible Ne me reproches pas un départ si sensible, Car ce cour qui jamais ne cessa de t'aimer S'il le put ressentir ne saurait l'exprimer, Tu sauras toutefois que mon deuil fut extrême, Que toujours fus depuis odieuse à moi-même J'ai conspiré cent fois à me priver du jour, Pour faire par mon sang raison à ton amour. J'en puis être témoin. Ô ! vertu sans pareille ! Vouloir pour moi mourir ? Ô prodige ! Ô merveille ! Rare exemple d'amour, et de fidélité Que ne vous dois-je point après cette bonté, Seigneur, si mes exploits ont pour toi quelques charmes Si tu dois quelque prix au succès de mes armes, Si tu me crois encore digne de te servir Contre les nations que tu veux asservir, Par tout ce que j'ai fait, et ce que je puis faire Accorde-moi, Seigneur, cet illustre salaire, Accorde-moi Perside, ou si mon cour à tort De prétendre fi haut, accorde-moi la mort. A son occasion je la trouverai belle Car si tu ne veux pas que je vive pour elle, L'amour et le devoir m'imposent cette loi Que je meure pour elle, ayant vécu pour moi. Je mourrai si tu meurs c'est à quoi je suis prête. Pourquoi diffères-tu Soliman ? Qui t-arrête ? L'amour est-il encor sur tes sens absolu ? Non non il doit céder c'est un point résolu, Triomphe ma raison triomphe, et fais connaître Qu'un Dieu même aujourd'hui me reconnaît pour maître. Vivez heureux Amants, chassez vos déplaisirs Soliman aujourd'hui s'accorde à vos désirs, Perside est pour Eraste. Ô ! grâce inespérée. Puisse être ta Hautesse en tous lieux adorée, Et porter ton renom et ta gloire si loin, Qu'elle en rende dans peu tout le monde témoin, ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Herminie, Alcomire. Vous vous moquez de moi m'appelant inhumaine ? Puis-je le soulager, si j'ignore sa peine ? Vous me dites qu'Achmat a pour moi de l'amour, Où l'a-t-il fait paraître, ou m'a-t-il fait la cour ? Certes s'il aime ainsi sa flamme est bien secrète. Et vous pour l'avouer, vous êtes trop discrète. Avouerais-je une ardeur que je ne connais pas ? C'est pourtant un effet qu'ont produit vos appâts, Et que sa passion vous aurait fait connaître, S'il n'avait du respect pour l'amour de son maître. Pour l'amour de son maître ah ! quittez cette erreur Vous offensez les voeux d'un si grand Empereur, Il est trop généreux, trop puissant, et trop brave Pour s'abaisser au point que d'aimer une Esclave. Ne vous défendez point par cette qualité, Du pouvoir qu'à sur lui votre rare beauté, En cette occasion vous l'êtes l'un de l'autre Le sort vous a fait sienne, et l'amour le fait vôtre, C'est illustre captif fait de trop beaux liens Pour descendre jamais à la honte des miens, Je suis trop malheureuse et Perside est trop belle. Il brûlera pour vous comme il a fait pour elle, Et comme le destin vous traite également, Un jour il vous pourra céder à votre Amant. Ô mon Amant ! Ô qui ? Votre cour en soupire. Et vos yeux malgré vous disent votre martyre, Ne dissimulez plus avouez franchement Que sa discrétion vous touche. Nullement, Lorsque d'un si beau trait nous nous sentons atteindre Il est bien malaisé de souffrir et de feindre. La langue quelquefois peut bien dissimuler Mais quand elle se tait les yeux savent parler Et le cour trop pressé des ardeurs de sa flamme, Montre par ses soupirs les blessures de l'âme. Je soupire il est vrai, mais... Ô dieux que je crains ! Elle aime mon amant. Que mes soupirs sont vains ; J'aime j'aime, et l'objet ou mon amour aspire C'est Soliman. Hé bien. Tu souris Alcomire, Mais sache qu'un grand cour pour être malheureux N'a point de sentiments qui ne soient généreux, Et quand il tomberait du trône en l'esclavage Il changerait de sort, mais non pas de courage, Si mon oeil Herminie a paru plus riant Au nom d'un Empereur qu'adore l'orient, Apprend que ma gaieté vient de toute autre cause Que de la passion que ton cour se propose, Et que loin de blâmer un si noble dessein Je tâcherais moi-même à le mettre en ton sein, Si les hautes vertus de ce Prince adorable Ne m'avait épargné cet effort agréable. Suis, crois-moi, suis sans peur tes illustres projets L'amour comme il lui plaît égale ses sujets, Et le sang d'Amurat d'où tu tiens ta naissance Semble favoriser cette haute espérance. Soliman je l'avoue est grand, est glorieux, Mais enfin qu'est-il plus que furent tes aïeux ? Il règne sur un trône, il porte un Diadème, Jadis tes devanciers le portèrent de même, Et tant de qualités qui te font adorer Te permettent encor d'y pouvoir aspirer. Achmat je le confesse, est généreux, et brave Mais c'est trop peu pour toi. C'est trop pour un Esclave, Mais quelque passion qui te puisse enflammer Mon esprit ne saurait se résoudre à l'aimer. Aussi vaut-il mieux être Sultane Reine Que femme d'un Bassa. Tu me veux rendre vaine, Mais de peur que l'appât de ce subtil poison Ne séduise mon cour et trouble ma raison, Souffre que je l'évite et que je me retire, Adieu belle Herminie, Adieu chère Alcomire, SCÈNE II. Alcomire, Achmat. Qu'elle m'ôte du cour un étrange souci Je craignais son amour, mais Achmat vient ici, Tâchons adroitement de lire dans son âme Si la belle Herminie est l'objet de sa flamme, Quoi rêveur et pensif ? Ajoute encore Amant. D'un objet sans pareil ? Ah ! Dieux qu'il est charmant Mais que de peu d'espoir mon amour est suivie. Et qu'inutilement mon âme en est ravie. Quelle est cette beauté si parfaite à vos yeux ? Un miracle, un prodige, un chef-d'ouvre des cieux. Son nom ? Cache mon cour la douleur qui te presse. Alcomire as-tu vu cette jeune Princesse Que le sort de la guerre a mise entre nos mains ? Ce sont de ses beaux yeux les regards inhumains Qui m'ont percé le cour, et jeté dans mon âme Malgré ma résistance une invincible flamme, A peine dans Byzance êtes vous de retour Que déjà sa beauté vous donne tant d'amour ? Oui pour elle déjà ma flamme est infinie. Sans d'extrêmes transports peut-on voir Herminie ? Je l'ai vue il suffit, ses attraits m'ont charmé. Mais croyez-vous vous qu'un jour vous en soyez aimé ? Peut-être que d'abord cette belle inhumaine Méprisera mes voeux se rira de ma peine, Mais sache qu'à la fin il n'est point de rigueur Dont un parfait amour ne se rende vainqueur, Il n'est point de vertu pareille à la constance, Nous n'exécutons rien que par son assistance, Et tous les hauts desseins que nous préméditons Se perdent quand d'abord nous les précipitons, Il n'est point de grand cour que le temps ne fléchisse Il n'est point de mépris qu'un beau feu n'adoucisse, Et celui qui sans l'art de bien persévérer. Obtiendra tôt ou tard ce qu'il peut espérer, Par la suite du temps, l'or se fait de la terre, L'air mange les métaux et l'eau creuse la pierre, Les plus fermes remparts sont enfin renversés, Et les plus orgueilleux se trouvent abaissés. Quand on l'espère moins la beauté la plus fière Relâche quelquefois de son humeur altière, Et recevant les feux qu'elle-même a causés Lance autant de soupirs qu'elle en a méprisés. Mais vous ne savez pas que cette impérieuse, Cette beauté superbe autant que glorieuse, Brûle pour Soliman, et que ce haut projet L'empêchera toujours de chérir un sujet ! Vous savez qu'Amurat lui donna la naissance Que son père étant mort elle quitta Byzance, Et que pour dissiper la peur qui la saisit Rhodes fut le séjour qu'à lors elle choisit, Cette dernière guerre enfin vous la rendue, Mais lorsqu'elle croyait que le sort l'eut perdue, C'est lorsqu'elle triomphe, et que ce noble cour Dans sa captivité règne sur son vainqueur. Pour aimer Soliman, ce n'est pas conséquence Qu'un succès si charmant suive son espérance, Il a voulu tantôt la donner au Vizir. Son inclination parait en ce désir Et vous devez par la reconnaître qu'il l'aime, Pétrarquiste en un mot est un autre lui-même Mais c'est par mon moyen qu'Eraste est bien heureux Et par cette raison il la doit à mes voeux, Perside est ma conquête, Herminie est la sienne Un juste échange veut que ce prix m'appartienne, Je le dois espérer. Tu t'en promets beaucoup Mais j'aurai peu d'adresse ou je romprai ce coup. Allez allez Achmat, allez voir cette belle Déjà malgré le corps votre esprit est chez elle, Suivez ce beau désir, mais ressouvenez-vous Que vous pouvez choisir des liens bien plus doux. Ainsi le veut amour, et telle est ma fortune Je cours après mon mal, mais je vous importune. SCÈNE III. Il s'en va dans l'espoir d'être bientôt heureux Où de se voir aimé comme il est amoureux, Et moi je reste ici pour essuyer ma honte Et rompre si je puis le beau trait qui me dompte, Mais que dis-je bon Dieux, et que puis-je espérer Si mon cour souffre un mal qu'il n'ose déclarer, Et si je suis réduite à ce malheur extrême De voir qu'un autre objet m'a ravi ce que j'aime, Rigoureux frein d'amour ! Tyrannique respect Qui nous fait craindre tout, qui nous rends tout suspect, Fâcheuse loi du sexe et de la bienséance Pour vous avoir suivis je perds mon espérance, Mais voici l'Empereur. Amour éteins mes feux Ou fais qu'Achmat enfin les rende pus heureux. SCÈNE IV. Perside, Soliman, Herminie, Achmat. Je n'ai plus de regret Seigneur que ta Hautesse Ait rendu mon pays tributaire à la Grèce ; Puisqu'un jour ce destin par tes exploits divers Lui doit être commun avec tout l'Univers, Et si le monde entier doit être ton partage Rhodes en son malheur au moins a l'avantage. Que toi-même en personne es venu demander Un bien qu'a tes vertus on devait accorder. Mais comme elle en avait trop peu de connaissance Qu'elle ne t'a donné qu'après sa résistance. S'il t'avait coûté moins tu l'aurais méprisé Le triomphe est honteux d'un combat trop aisé, Ta peine et tes travaux ont relevé ta gloire Et te forcent sans doute à chérir ta victoire, Je l'estime si fort et suis si glorieux. D'avoir fait ce qu'en vain ont tenté mes aïeux, Que je préférerais au reste de la terre, Les illustres lauriers cueillis en cette guerre Mais ce qui me les rends et plus chers et plus doux C'est Perside, qu'ils sont accompagnés de vous, Après votre conquête il n'est rien d'agréable, Il n'est rien de charmant, rien de considérable, Et quiconque aujourd'hui possède un si beau prix Peut voir tout l'Univers avecque du mépris. Épargne-moi Seigneur, ta bonté trop extrême Fais qu'ici devant toi je me cherche en moi-même, Ta faveur me confond, et je ne sais pourquoi Tu me rends aujourd'hui l'honneur que je reçois, Tu sais que la raison veut que je le rejette ; Puisque mon sort m'apprend que je suis ta sujette Et que toute ma gloire et ma félicité Dépendent désormais de cette qualité, Ah ! Perside arrêtez, vous commettez un crime Quand votre modestie abaisse votre estime, Ce respect vous trahit, et je ne sais pourquoi Il veut désavouer les attraits que je vois, C'est lui que la raison ordonne qu'on rejette Le sort vous a fait Reine et non pas ma sujette, Et désormais ma gloire et ma félicité Dépendent tout à fait de cette qualité, Il l'aime il l'aime encore. Ah ! Seigneur ta Hautesse, Veut éprouver ici jusqu'où va ma faiblesse, Mais je puis assurer que mon ambition Se limite au bonheur de mon affection, Et que si je prétends au rang de souveraine, Ce n'est que sur un cour. Hé bien belle inhumaine Ce cour est sous vos lois, il n'obéit qu'à vous. C'est de toi que je tiens un Empire si doux Et je t'en dois Seigneur, un éternel hommage. Que ce discours me plaît ! Mais hélas ! qu'il m'outrage. Hé bien mon cher Achmat, est-il sous le soleil, Un Prince plus heureux ? Ton heur est sans pareil, Et tes prospérités égalent ta puissance : Mais Seigneur, ton Achmat attend sa récompense, Tu sais ce qu'il a fait, et tu lui dois donner. Que prétend-il, ô Dieux ? Que va-t-il ordonner ? Oui je vous dois un prix, mais en cette occurrence Que demandez-vous ? quelle est votre espérance ? Seigneur ton Herminie est l'objet de mes voeux ? Et tu l'es de ma haine. Achmat oui je le veux, J'accorde à vos désirs cette belle Herminie. .................................. Vaines prétentions où me réduisez-vous ? Que je te dois d'encens pour un arrêt si doux. Ah Seigneur qu'a-tu dit ? quelle est ton ordonnance : Ne te souvient-il plus du rang de ma naissance, Quel insigne malheur te porte à me haïr, Jusqu'au point... C'est assez, il me faut obéir. Triste commandement ! rigoureuse contrainte ! Mourons, mourons plutôt. Étouffez cette plainte. Achmat allez la rendre à son appartement Et là vous acquittez des devoirs d'un Amant. Ils sortent. SCÈNE V. Soliman, Perside. Enfin, belle Perside, il faut que je confesse Devant vos yeux divins mon extrême faiblesse, Amour encore un coup me réduit aux abois, Et malgré ma raison me remet sous vos lois : J'ai pensé vainement échapper de mes chaînes, Je rentre en mes liens, je retourne à mes peines, Et mon cour aujourd'hui trouve son joug si beau Qu'il ne veut désormais le quitter qu'au tombeau, Recevez votre Esclave, objet trop adorable Approuvez son retour, soyez lui favorable, Par son naufrage même, il vous a mise au port Pour l'y mettre à présent faites un même effort, Vous savez que pour vous, il s'est vaincu soi-même Qu'il a trahi ses feux, sa puissance suprême, Son repos, son bonheur, sa gloire, et ses plaisirs Pour se sacrifier au gré de vos désirs, Maintenant qu'il vous a de tout point satisfaite Vous devez consentir au bonheur qu'il souhaite, Et par un traitement aussi juste que doux Faire aujourd'hui pour lui ce qu'il a fait pour vous. Quel charme, justes dieux ! rend ma vue éblouie, Confond mon jugement, et trompe mon ouïe. Ce n'est point Soliman qui me parait ici, Il a trop de vertu pour en parler ainsi, Il sait trop que Perside est constante et fidèle Pour lui persuader une amour criminelle, Il sait trop, il sait trop qu'elle chérit l'honneur. Change donc ce discours insolent suborneur Et par une action et si lâche et si noire Cesse de m'offenser et de ternir ta gloire Trop charmante beauté sortez de cette erreur, Et voyez à vos pieds mourir un Empereur, Hélas c'est Soliman : mais Soliman en flamme Soliman aux abois, et qui va rendre l'âme Si vos yeux moins cruels n'empêchent son trépas. Tu me parles en vain, va je ne te crois pas, Soliman est discret, Soliman est plus sage. C'est lui-même pourtant qui vous rend cet hommage. Ah ! Si c'est toi Seigneur pourquoi te démens-tu ? Quel Monstre ? Quel Démon a détruit ta vertu ? Cette force d'esprit si rare et si connue T'a-t-elle abandonné ? Qu'est-elle devenue, Ah ! Si c'est moi Seigneur, qui te cause ce tort, Si ce sont mes attraits qui te troublent si fort, Bannis de tes états cette beauté funeste, Fuis ses yeux criminels à l'égal de la peste, Évite son abord, et pour la mieux punir Détruis-en si tu peux jusques au souvenir J'aime mieux que ma mort prévienne ton envie Que de me voir fatale au lustre de ta vie. Si c'est là ton dessein je le tiens à bonheur, Dispose de mon sang, mais laisse-moi l'honneur. Votre honneur désormais est franc de toute atteinte, Vous pouvez m'obliger et sans honte et sans crainte Vous êtes au sérail et seule et sans témoin. Pour faillir en secret on empêche pas moins. Mais c'est trop écouter un discours qui m'outrage Sortons. Adieu cruelle. SCÈNE VI. Ô Désespoir ! Ô rage ! Hé ! bien, que feras-tu Soliman ? Ce mépris N'est-il pas suffisant à guérir tes esprits ? Ah bien loin de détruire il augmente ma flamme Elle règne en mon cour, elle embrase mon âme Et toutes ses rigueurs profitent aussi peu, Que font des gouttes d'eau pour éteindre un grand feu, Quand je crois l'étouffer c'est lorsqu'il se rallume Quand je pense être sain, c'est lorsqu'il me consume, Et comme dans les airs le tonnerre se fait Par le rude combat et du chaud et du froid. Ainsi quand sa froideur vient à choquer ma flamme Il se fait seulement un foudre pour mon âme, Dont l'invincible trait rend mon cour abattu Et sans m'ôter le jour lui ravit sa Vertu. Songe donc Soliman à ce que tu veux faire Sois plus respectueux, où fois plus téméraire, Cesse enfin de languir, et par un prompt effort Choisis sans différer ou l'amour ou la mort. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Achmat, Hermine. Non, non n'espérez pas me traitant de la sorte Que sur ma passion votre rigueur l'emporte, Je connais la raison qui cause vos mépris, Je sais de quelle ardeur votre cour est épris, Et je n'ignore pas qu'une haute espérance Ne soit le fondement du refus qui m'offense, Mais apprenez aussi que je sais le moyen D'étouffer votre espoir, et d'assurer le mien. Oui, oui beauté superbe, il faut que tout périsse Ou qu'au gré de mes voeux mon dessein réussisse, Vous n'êtes plus à vous, et vous êtes à moi, Soliman qui peut tout. Ne peut rien sur ma foi. Vous êtes son esclave. Oui mais non pas la tienne. Vous devez obéir puisque vous êtes sienne. De deux maîtres puissants qui régissent mon sort Je résiste au plus faible, et je cède au plus fort. Où règne Soliman il n'est point d'autre maître. Où règne Soliman n'espère pas de l'être. Je vous entends Madame, et je sais vos desseins Mais il aime Perside. Et ses feux seront vains. Puisqu'au gré de ses voeux Eraste la possède Cet obstacle est puissant, J'en sais bien le remède. Va, va mettre en effet tes projets inhumains, Moi je saurai bientôt me tirer de tes mains. SCÈNE II. Oui, oui malgré ce cour si contraire à ma flamme Je vais exécuter le complot que je trame, Et te réduire au point de ne plus espérer Le grade impérieux où tu veux aspirer. Oui cruelle je sais qu'Eraste est un obstacle Qui fait que ce charmant et visible miracle Pour qui les plus grands cours ont tant de passion Est pour un Empereur sans inclination ; Mais pour son intérêt il faut qu'il s'en délivre Notre commun repos veut qu'il cesse de vivre, Et que par ce grand coup nous renversions tous deux Le seul empêchement qui s'oppose à nos voeux. Eraste je sais bien qu'envers toi je suis traître Mais toi-même tu l'es au repos de ton maître, Car ta fidélité, fatale à ses plaisirs Par son propre mérite a trahi ses désirs. Je t'aimais autrefois et maintenant je m'aime, Je n'ai plus soin de toi pour songer à moi-même Tu me nuis, je t'hais et mon cour en ce jour A conclu ton trépas pour plaire à mon amour, Je ne puis écouter les lois de la nature Je songe à me guérir par ta propre blessure, J'ai dessein de te perdre afin de me sauver Et de causer ta chute afin de m'élever, Enfin pardonne-moi si je te suis barbare L'amitié nous joignit et l'amour nous sépare, J'avance ton malheur pour avancer mon bien Et pour cet intérêt je n'écoute plus rien. Allons c'est trop parler la chose est résolue La foudre est toute prête et sa mort est conclue, Amour cruel auteur de ce hardi dessein Favorise un forfait que tu m'a mis au sein. SCÈNE III. Tyran des cours bourreau des âmes, Maître des humains et des Dieux, Redoutable vainqueur des plus ambitieux Dieu de fers de soupirs, de tourments, et de flammes, Amour que les coups de tes traits Ont d'abord de puissants attraits ! Qu'ils font une agréable et charmante blessure Mais après de si doux moments, Hélas ! que ta douceur change bien de nature, Et qu'elle est fatale aux amants ! Puisque je vis sous ton Empire Et qu'Eraste a ma liberté, Pourquoi par ton caprice, ou par ta cruauté. Fais-tu que Soliman pour moi-même soupire. Je ne puis partager mes voeux Mon amour ne peut être à deux, Eraste est mon époux, Soliman est mon Prince ; Mais le premier est mon vainqueur Et si le sort à l'un a donné ma Province, Amour donne à l'autre mon cour. Une chose leur est commune Parmi leurs inégalités, Deux aveugles des deux sont les divinités L'un doit tout à l'amour et l'autre à la fortune, L'un est content de mes ardeurs, L'autre est au faîte des grandeurs Et son ambition ne peut être assouvie, Eraste asservi sous mes lois Se plaît en ses liens et son cour sans envie, Les préfère aux sceptres des Rois. Prince dont l'injuste puissance, Suppose à nos feux innocents, Si je suis insensible aux flammes que tu sens. Ne prends point ma rigueur pour désobéissance. Un Dieu dont tu sens le pouvoir M'ordonne ce juste devoir, Je ne puis résister à celui qui te dompte, S'il rend Eraste triomphant, Afin de mieux couvrir mes refus et ta honte. Dis que c'est le choix d'un enfant. Beau sujet de mes soins, cher objet de ma flamme Oui, oui tu seras seul à posséder mon âme, Et de quelque façon qu'on attaque mon cour Il ne reconnaîtra jamais d'autre vainqueur : Mais ô Dieux je le vois, et son visage blême, Témoigne à cet abord une douleur extrême. Il frémit, il pâlit, et par ses changements Montre qu'il sent au cour d'étranges mouvements. SCÈNE IV. Perside, Eraste. Qu'avez-vous Eraste ? Et quel mauvais présage Tirai-je de vos yeux et de votre visage. Vous me demandez hélas ! Ce que vous jugez bien. Parlez plus clairement où je ne comprends rien. Hé bien je vais parler, voyez mes yeux Madame Par eux vous apprendrez le tourment de mon âme, Par eux vous apprendrez que je viens en ce lieu Pour vous dire peut-être un éternel à dieu. Un éternel a dieu cher Eraste ! Ah je tremble. Un éternel adieu ? Non non mourons ensemble Ou si tu veux enfin que j'écoute le tien, Eraste en même temps reçoit aussi le mien, Mon âme avec la tienne est si bien attachée Qu'on ne la verra point par la mort arrachée, Et tu dois recevoir des preuves de ma foi Me voyant toujours vivre et mourir avec toi. A tout événement mon cour se peut résoudre Si sur l'un de nous deux le sort lance la foudre, Le coup qu'il recevra mettra l'autre au tombeau, Et rien n'est assez fort pour rompre un noeud si beau. Crois-tu que ta Perside.... Ah ! Cesse ma chère âme Je douterais à tort des ardeurs de ta flamme, La crainte et les soupçons dont je suis combattu Attaquent mon repos et non pas ta Vertu. Par mille beaux effets elle m'est si connue Et parait à mes yeux si charmante et si nue Que si dans mes malheurs je doutais de ta foi Je me rendrais indigne et du jour et de toi, Mais je crains un amour armé d'une puissance Contre qui ta vertu n'aura point de défense, Qui foule aux pieds l'honneur, les lois et le devoir Et dans sa volonté limite son pouvoir, Oui je crains Soliman, oui je crains un barbare Dont le lâche dessein aujourd'hui nous sépare, Je redoute un voleur qui m'enlève mon bien, J'appréhende celui qui n'appréhende rien Et qui pour te ravir avec plus de licence, Par des moyens adroits me ravit ta présence Pour rendre auprès de toi ses efforts plus puissants. Il feint de redouter les armes des Persans, Mais c'est moi qu'il redoute, et non pas leur victoire Sous prétexte pourtant de procurer ma gloire, Ce mortel Ennemi m'éloigne seulement, Comme un fâcheux obstacle à son contentement, Et me fait Général d'une puissante armée Pour m'ôter un trésor dont son âme est charmée, Je sais qu'il t'aime hélas ! Et qu'il me veut trahir, Je sais que je te perds, mais il faut obéir. Étrange et dure loi de mon sort déplorable Qu'autant aimé qu'Amant je sois si misérable ? Amour ? Cruel amour que t'a fait ma vertu ? Tyran de mon repos à quoi me réduis-tu ? Quel caprice est le tien ? Quelle est ma destinée ? Tu veux m'ôter Perside ? Et tu me l'as donnée. Ah ! Ravis-moi plutôt le bien de la clarté Que la possession de sa rare beauté. Non, non mon cher époux étouffe cette crainte Dont trop indignement ta belle âme est atteinte, Ta Perside est à toi, rien ne peut te l'ôter Non pas même la mort mais tu vas me quitter, Tu le dis, je t'entends, ton âme se désole Et ma mort ne suit pas cette triste parole ? Quoi tu pars ? tu t'en vas, tu me fais tes adieux ? Et sa cruelle main ne ferme pas mes yeux ? Tu t'en vas cher Eraste, et lâche je respire, Quand ton éloignement ordonne que j'expire, Ah ! Qu'à bon droit, Eraste, et qu'avec raison Tu soupçonnes mon cour de quelque trahison Si lorsque tu me dis qu'il faut que tu me laisses Par mes pleurs seulement je fais voir mes faiblesses, Ah ! trop lâches effets de mon ressentiment Que vous exprimez mal l'excès de mon tourment, Larmes ne coulez plus, ou montrez mieux mes peines Arrêtez-vous mes yeux, mais ouvrez-vous mes veines Il n'appartient qu'a vous à pleurer mes malheurs Et mon sang peut tout seul faire voir mes douleurs. Épargne ce beau sang sèche ces belles larmes Enfin le temps me presse, il faut prendre les armes, Oui, Perfide, je pars et je te dis adieu, Mais vis pour ton Eraste et demeure en ce lieu, Peut-être que le fort qui nous est si contraire Malgré ma défiance aura moins de colère, Je crains tout d'un Tyran de vices revêtu Mais craignant son amour, j'espère en ta vertu, Parmi mes déplaisirs cet espoir me console, Oui ta foi me rassure, et ma crainte s'envole, Je sais que ton esprit en fut toujours vainqueur Adieu dans ce baiser je te laisse mon cour. Soit enfin que je parte ou soit que je demeure Soit que je vive en guerre,ou bien soit que j'y meure, Soit que le Ciel m'assiste ou qu'il soit contre moi Rien ne peut empêcher que je ne sois à toi ; Je l'ai cent fois juré, je te le jure encore Soit absent ou présent il faut que je t'adore, Et qu'enfin ton beau nom répété mille fois Soit les derniers propos que prononce ma voix. Adieu chère Perside, et perdant ma présence, Pour me mieux consoler fais-moi voir ta constance Adieu donc cher Eraste. Adieu Madame. Hélas ! Te reverrai-je encor ? Non ne l'espère pas ? Adieu. SCÈNE V. Capricieuse et bizarre fortune Après un doux effet que tu m'es importune, Que d'un trouble soudain mon repos est suivi, A peine ai-je un bonheur que je le vois ravi, Je sens en même temps ces faveurs, et ta rage Tu me jettes au port, et tu me fais un naufrage, Tu fais lors que je meurs semblant de me guérir Et puis lorsque je vis tes traits me font mourir, Inconstante Déesse à mes yeux infidèle Sois-moi plus favorable, ou sois-moi plus cruelle, Ne me fais plus languir, détermine mon sort Et délibère enfin ou ma vie ou ma mort. SCÈNE VI. Soliman, Achmat, Pirrus, Haly, quelques Janissaires. Tu hasardes beaucoup Seigneur, et cette adresse Dont tu crois te servir, est nuisible à la Grèce, Tu connais bien Eraste, et tu n'ignores pas Qu'il a bien du crédit sur les cours des Soldats, Par cet éloignement tu te promets peut-être De posséder Perside et de t'en rendre maître, mais tant que son esprit nourrira l'espoir Ne prétends pas jamais que tu puisses l'avoir, Un feu comme le sien a trop de violence Pour céder aux ennuis d'une légère absence, Eraste est trop avant dedans son souvenir, La distance des lieux ne l'en saurait bannir Et tant que ce Rival jouira de la vie, Toujours un vain espoir trompera ton envie, Car si tu presses trop cet objet orgueilleux, Tu fais contre toi-même un dessein périlleux, Soudain elle mettra son Eraste en alarmes, Qui te venant combattre avec tes propres armes, Te ravira peut-être avec cette beauté, Et l'Empire et le Trône où je te vois monté, J'approuve vos raisons, et votre prévoyance, Dans vos sages avis je vois mon imprudence, Je reconnais ma faute, et je veux aujourd'hui Malgré ses faits passés me défier de lui. Mais pour exécuter un conseil salutaire Achmat la diligence est toujours nécessaire, Faites venir Eraste allez, Prends ce souci Pirrus, va, ma présence est nécessaire ici, J'y vais, Qu'il vienne tôt, vole. SCÈNE VII. Soliman, Achmat, Haly. Eraste, Perside, Qu'à votre occasion je suis lâche et timide Que dedans mes désirs je suis peu résolu, Tu te devrais Seigneur rendre plus absolu C'est excès de bonté qui nuit à ta Hautesse Produit des insolents alors qu'elle s'abaisse, Vois comme auprès de toi Perside est sans respect, Et qu'Eraste. Achevez.... Te doit être suspect. Ah ! Ne l'offensez pas je connais trop son zèle, Et tu sauras trop tard qu'il ne t'est pas fidèle. Ces drapeaux que je vois parlent ici pour lui. Et ces autres Seigneur la causent aujourd'hui. Ceux-là sont seulement les témoins de ma gloire. Ils le sont des regrets qu'il a de ta victoire, Il est vrai que d'abord cet objet l'a surpris, Et toujours ces objets irritent ces esprits, Perside d'autre part excitant sa furie Le porte incessamment à venger sa Patrie : Il couve ce dessein, et propice à ses voeux Déjà l'occasion lui montrait ses cheveux, Si ta Hautesse ici par nos soins avertie Révoquant son pouvoir n'en rompait la partie, Le perfide l'ingrat ! Il faut le prévenir. Ce n'est pas assez. Quoi donc ? Crains l'avenir L'affront qu'il recevra va piquer son courage Et bien qu'un feint respect te déguise sa rage, Il pourra tôt ou tard par de lâches complots Venger ses passions et troubler ton repos, En cette occasion qu'est-il besoin de faire ? Que me conseillez-vous ? De perdre un téméraire, Qui conspire dans l'âme à te priver du jour Qui s'oppose à ta gloire et nuit à ton amour. Hé bien, puisque l'état aujourd'hui m'y convie Puisque sa mort importe au repos de ma vie, Perdons-le, c'en est fait, mon esprit s'y résout. Pour toi les yeux fermés, j'ose et j'entreprends tout. Si j'ai reçu par vous cet avis salutaire Vous recevrez de moi son prix et son salaire, Mais laissez cet ingrat, et qu'il vive en repos Je l'empêcherai bien, ah ! qu'il vient à propos, Je vais par un reproche et juste et légitime Imprimer dans son cour le remords de son crime, SCÈNE VIII. Soliman, Eraste, Achamt, Haly, Pittus, et Janissaires. Ton cour est grand, Eraste, il le faut avouer, Ta générosité ne se peut trop louer, Et Rhodes que le sort et mon bras m'ont donnée Après ses hauts exploits est bien infortunée, D'être aujourd'hui contrainte de relever de moi Ayant pour citoyens des hommes comme toi, Certes dans son malheur elle est beaucoup à plaindre Mais ce ressentiment pourra bientôt s'éteindre, Puis qu'enfin ta valeur sensible à ses regrets Va contre Soliman prendre ses intérêts, Et par une importante et célèbre victoire La remettre en ses droits et rétablir sa gloire, Certes de ce projet le prétexte est fort beau Mais son funeste effet me semble un peu nouveau, Eraste, il est certain que j'ai vaincu ta Patrie Ce fâcheux souvenir excite ta furie, Mais en te souvenant de ses heureux malheurs Tu devais quant et quant songer à mes faveurs, Et par un prompt remords renoncer à l'envie, De m'ôter ma conquête et peut-être la vie. Ce discours te surprend avec quelque raison Tu me croyais si bien cacher ta trahison, Que la trame en étant adroitement couverte Je ne la devais voir qu'en apprenant ma perte, Mais le démon qui-veille au salut des états Ma découvert ton piège, et les noirs attentats, Éventé ton dessein, et dissipé les charmes Qui faisaient contre moi tourner mes propres armes, Ayant prévu le mal je saurai l'éviter. Et si tu veux mon sang je te puis contenter, Oui, oui que ta Hautesse achève son envie Eraste t'est suspect il doit perdre la vie. Mais en l'abandonnant à de sanglants effets Ne lui reproche pas de si lâches forfaits. Si tu fais le dessein de perdre un misérable Au moins accuse-le d'un crime véritable, Et pour le condamner avec plus d'équité Fais paraître sa faute en sa témérité. Alors ta cruauté se rendra légitime En l'accusant d'aimer tu nommeras son crime, Et tu le blâmeras avec juste raison Si chérir son épouse est une trahison. Peut-être j'ai failli d'aimer une Déesse Dont les chastes attraits plaisaient à ta Hautesse, Mais qui s'empêcherait du crime que j'ai fait Si mon juge lui-même a causé son effet, Bien, sois-en Soliman le possesseur paisible Ton rang et mes malheurs te rendent tout loisible, Ravis-moi ravis-moi cette illustre beauté Qu'au prix de tant de sang j'ai si bien acheté, Mais donne-moi la mort et dans mon infortune Préviens par ce beau coup notre honte commune, C'est l'unique moyen d'assurer ton amour, Ne diffère donc pas à me priver du jour, Aussi bien ce Sérail le théâtre tragique Des noires actions d'une ardeur impudique, Est tout accoutumé de souffrir sans horreur Ces prodiges nouveaux de rage et de fureur, Déjà l'assassinat y passe en habitude Et dans cette honteuse et ville servitude. Parmi tes courtisans, et tes lâches flatteurs Et le meurtre et l'inceste ont des approbateurs. Cet insolent propos montre à qui je me fie Mais ce n'est pas ainsi que l'on se justifie, Ce procédé ne sert qu'a vous rendre suspect Et vous devriez au moins avoir plus de respect. Seigneur mes actions sont toutes innocentes Et j'en pourrais donner des preuves évidentes Mais ce serait en vain, tu connaîtras un jour, Quel était ton Eraste, et quel est ton amour. Et vous dans le Château du bord de la mer noire Vous apprendrez bientôt à respecter ma gloire, Emmenez-le Pirrus. Je n'y recule pas Et même si tu veux nous irons au trépas. SCÈNE IX. Soliman, Achmat, Haly. Non je n'en doute plus il est, il est Perside, Il sait la passion que j'ai pour sa Perside, L'ingrat en est jaloux, mes feux m'ont haïr Et son ressentiment le porte à me trahir, Qu'il meure, va Haly, mène mes Janissaires Et puis donne aux muets les ordres nécessaires. Va...non reviens, attends, avis, haine, courroux, Perside, Eraste, amour, où me réduisez-vous. Où me réduisez-vous impérieuse flamme ? Si mon Eraste meurt que deviendra mon âme ? Les coups qui l'atteindront ne m'atteignent-ils pas ? Sa mort n'est-elle pas l'arrêt de mon trépas Et quoi que je propose en ce courroux extrême Le puis-je perdre enfin sans me perdre moi-même ? Non, non quoi qu'il en soit ses malheurs sont les miens Les plus beaux de mes jours sont attachés aux siens, Je souhaite ma mort en désirant la sienne, Son trépas est le mien et sa vie est la mienne ? Qu'il vive donc qu'il vive. Ah ! Seigneur. Laissez-moi, Eraste est innocent, ces drapeaux que je vois ; Me parlent hautement en faveur de son zèle. Mais Perside Seigneur.... Non il est infidèle. Perds donc sans différer celui qui nous aima Celui qui nous servit, celui qui nous charma, Va Haly, c'en est fait, mon amour veut qu'il meure Il sort. Se peut-il présenter d'occasion meilleure. Non Haly, hâte-toi rien ne le peut sauver. Suivez tout de ce pas je m'en vais le trouver, ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Pirrus, Alcomire. Pirrus, si vous voulez m'acquérir et me plaire Il faut perdre un ingrat, et servir ma colère, Il faut punir Achmat dont l'esprit orgueilleux Après m'avoir vaincue a rejeté mes voeux Montrez donc par ce coup qu'il vous faut entreprendre Que m'ayant su gagner vous me savez défendre, Et pour vous y porter avec plus de courroux Songez que je vous aime et que je suis à vous. Madame, ce discours est-il bien véritable ? Puis-je attendre de vous cet honneur incroyable ? Et me comblerez-vous par de si grands bienfaits Si mon bras aujourd'hui s'accorde à vos souhaits ? Oui Pirrus, mais il faut contenter mon envie. C'est assez Alcomire, il va perdre la vie. J'apporterai son cour à vos sacrés genoux Vous le verrez sanglant et tout percé de coups, Et pour mieux satisfaire au deuil qui vous anime Je veux en le frappant lui reprocher son crime, Adieu, quand il aurait tout le secours des Cieux Vous le reverrez mort et moi victorieux. Demeure encore un peu, mais que dis-je timide ? L'ingrat m'a méprisée, il a trahi Perside, Alcomire, Herminie, Eraste et L'empereur, Qu'il meure donc l'ingrat, qu'il sente ta fureur, Ce n'est point lâcheté que de trahir un traître. Si c'est pour vous servir je fais gloire de l'être. Va c'en est fait, adieu venge-moi promptement. En moi vous trouverez un plus fidèle Amant. SCÈNE II. Enfin le coup est fait et selon mon envie Eraste vient de perdre et l'amour et la vie, De funestes cordeaux ont rompu ses liens Et ses feux étouffés font revivre les miens. Perside avec le temps pourra sécher ses larmes, Et Soliman piqué des attraits de ses charmes Se voyant sans obstacle, ainsi que son Rival, Rendra son heur parfait, et le mien sans égal. Mais je vois Herminie avançons. SCÈNE III. Achmat, Herminie. Belle ingrate Il faut enfin quitter cet espoir qui vous flatte, Vous aimez Soliman, mais il n'est pas pour vous Et Perside à ses yeux a des attraits plus doux, Il n'a plus de Rival, ce jeune téméraire N'est plus dorénavant en état de lui plaire, Ce brasier est éteint, Eraste est au tombeau. Qu'infères-tu de là ? que j'aime son bourreau ? Non, mon cruel Achmat, je sais ta perfidie Et voilà déloyal comme j'y remédie. Elle frappe Achmat d'un poignard. Ô destins ! Ah je meurs ! Ce coup m'ôte le jour. Ce sont là des faveurs dignes de ton amour. Pour les criminels, et les âmes traîtresses Je ne destine pas de plus douces caresses. SCÈNE IV. Herminie, Pirrus. Dieux qu'est-ce que je vois ? Pirrus où fuyez-vous ? Avancez, et voyez l'effet de mon courroux, J'ai fait cet homicide, et je veux qu'on le sache Vu qu'en l'exécutant je n'ai rien fait de lâche, J'ai perdu l'ennemi de tous les gens de bien. Je le sais, mais ô Dieux ! Quel malheur est le mien ? De quoi vous plaignez-vous ? du sort de cet infâme ? Non : mais en le perdant vous me perdez Madame. Comment ? avez-vous peur pour être ici venu ? Au contraire, je crains pour être prévenu, Pour être prévenu ? je ne saurais comprendre Ce que par ce discours vous voulez faire entendre. Apprenez que poussé d'un semblable dessein Je venais lui plonger ce poignard dans le sein, Et que par ce beau coup je gagnais Alcomire Dont ce perfide Amant dédaignais le martyre. Hé bien ! puis que ma main a vengé ses mépris Contente de l'honneur, je vous cède le prix, J'ai travaillé pour vous, et pour ma récompense Enlevez seulement ce corps de ma présence, Allez. Par un endroit qui regarde la mer, Assez proche d'ici je le vais abîmer, De peur que pour ce coup nous ne soyons en peine. SCÈNE V. Dépêchez donc Pirrus que quelqu'un ne survienne Ce n'est pas tout mon cour il faut vaincre ou mourir, Qu'amour m'élève au Trône ou me fasse périr, Allons trouver Perside, animons sa constance, Et contre Soliman armons sa résistance, Mais quel est ce guerrier ? Quel est ce jeune Mars, Qui lance dans ces lieux de si tristes regards. SCÈNE VI. Perside, Herminie, Ormane. Cher Eraste ! Arrêtez. Où courez-vous Madame. Est-ce Perside ô Dieux ? Eraste ma chère âme. C'est elle. Cher Eraste, où fuis-tu de mes yeux ? Pour la dernière fois je te vis en ces lieux, Ne t'y verrai-je plus ? Qu'est-ce qui t'en sépare ? Hélas ! d'un seul moment ne me sois pas avare, Viens voir en cet habit et dessous cet armet, En quelle extrémité ta Perside se met. Et comme la fureur peinte sur son visage Aussi bien que ses mains seconde son courage, Quoi tu ne parais point ma vie, et ta rigueur Me refuse tes yeux, ton oreille, et ton cour ? Et je n'obtiendrai point dans le mal qui me touche Un seul de tes regards, et deux mots de ta bouche ? Ah ! Si le souvenir d'une feinte amitié Te peut encor toucher d'un rayon de pitié, Ne me refuse point cette dernière grâce, Ou si comme ton corps ton Esprit est de glace, Et si cette insensible et mortelle froideur Qui s'en est emparé est passé jusqu'au cour, Souffre que je t'enflamme et que mon feu t'anime Par les ardents baisers d'une amour légitime, Et que ce vain esprit qui ne me sert de rien Abandonne mon corps et passe dans le tien. Ah ! Cesse ma douleur des discours si frivoles L'air avec mon espoir emporte mes paroles. Il est mort, il est mort. Arrêtez ces clameurs Madame. Apaisez-vous. Ah ! Je pâme ! Ah je meurs ! Perside... Ouvre les yeux. Ah ! Sa douleur l'emporte Rendez-la juste Ciel moins sensible et moins forte, Et ne permettez pas que son cour abattu Perde dans ce malheur sa première vertu, Courage, elle revient. Odieuse lumière, Pourquoi viens-tu couvrir ma débile paupière ? Pourquoi fais-tu pour moi ce pitoyable effort ? Que ne me laisses-tu dans les bras de la mort, Ô trop faibles effets de l'ennui qui me presse ! Ô trop lâches transports, et trop lente faiblesse ; Cruel soulagement et malheureux retour Du chemin de la mort à la clarté du jour, Puis qu'il ne m'est rendu que pour voir mes supplices Que pour voir au tombeau mes plus chères délices, Et joindre à la rigueur de ce cruel tourment Le sensible regret d'en être l'instrument. Détestables attraits, beauté lâche complice Des fureurs d'un Tyran et de son injustice, Périssez périssez, innocents ennemis, Et réparez le mal que vous avez commis. Ah ! Qu'en vous je recherche une faible allégeance Le sang de mon époux veut une autre vengeance. Armons-nous armons-nous, d'une juste fureur Et portons le poignard au sein d'un l'Empereur. Oui cruel tu verras une constante femme Porter dans ton palais et le fer et la flamme. Soulever contre toi les Enfers et les Cieux Et tout ce que la terre a de plus furieux, Conspirer contre toi mille coups téméraires Te chercher sans frayeur entre tes Janissaires Achever dans leurs bras son généreux dessein Et porter sa vengeance et la mort dans ton sein. Ah ! Faible quel transport t'aveugle de la sorte Pour en venir à bout tu n'es pas assez forte, Avecque cet habit pour un si grand dessein Il te fallait encor et le cour et la main, Ah ! Madame, est-ce vous ? Pardonnez Herminie Cette méconnaissance à ma rage infinie, Pardonnez mes transports à ma juste douleur Vous saviez mon amour, vous savez mon malheur Et vous saurez enfin qu'une juste vengeance M'arme contre les traits d'une injuste puissance, Depuis l'assassinat qu'un barbare à commis, J'ai cru pour mon époux que tout m'était permis, Que l'épée à ma main était même décente, Pour venger les malheurs d'une flamme innocente. Et qu'il fallait enfin sur le point de périr Affronter un Tyran le perdre et puis mourir. C'est où mon désespoir aujourd'hui me convie C'est où tend ma fureur. Ah ! Quittez cette envie, Songez plus d'une fois à ce coup important, Et ne vous perdez pas en le précipitant : Où voulez-vous courir ? et que pensez-vous faire ? Un effort ridicule autant que téméraire, Qui loin de contenter vos généreux esprits Vous fera repentir de l'avoir entrepris Arrêtez arrêtez, vous cherchez votre honte, Et ce n'est pas ainsi que Soliman se dompte Si vous voulez venger votre illustre moitié Il suffit d'employer les traits de la pitié, Et par votre vertu d'imprimer dans son âme, Mille cuisants remords de sa brutale flamme, Dont l'aveugle fureur l'a sans doute porté, A donner un arrêt si plein de cruauté. Quand les pertes hélas nous sont indifférentes Il nous est bien aisé de faire les prudentes, Mais lorsque notre cour sent de si rudes traits Il ne s'apaise point par de simples regrets, L'excès de ma douleur veut un autre dictame Il faut il faut du sang au courroux qui m'enflamme, Et si pour le verser mon bras n'est assez fort C'est de toi juste Ciel que j'attends cet effort, Arme, arme en ma faveur cette immortelle foudre Qui réduit les Palais et les Villes en poudre, Ces flammes, ces éclairs et ce bras tout puissant Si propice et si prompt à venger l'innocent. Et toi qui dans le Ciel ayant pris ta volée Laisses dans ces bas lieux Perside désolée, Songe à ce que je fus, songe à ce que je suis, Ne m'abandonne pas à l'excès des ennuis, Puis qu'à mes tristes yeux ta présence est ravie Je ne veux point traîner une mourante vie, Après toi cher époux je vais perdre le jour Et par ma mort enfin te montrer mon amour, Ah l'illustre courage ! Ah l'Épouse fidèle Allons suivons ses pas et mourons avec elle, Aussi bien Soliman, et le coup que j'ai fait Semblent-ils m'ordonner ce légitime effet. SCÈNE VII. Soliman, Pirrus, Haly, troupe de Janissaires. Devancez-moi Haly, voyez si la cruelle Se pourra bien résoudre à me souffrir chez elle. Dites-lui que je veux seulement lui parler Et qu'enfin je n'y vais que pour la consoler : Je sais bien que d'abord cette belle inhumaine Fera voir dans ses yeux sa colère et sa haine, Mais peut-être qu'enfin ces fortes passions Se pourront adoucir par nos soumissions, Frappez. SCÈNE VIII. Soliman, Haly, Pirrus, Perside. Ormane, troupe de Janissaires. Pyrrus frappe à la porte de Perside. Que voulez-vous ? Je demande Perside. Qui ? C'est le grand Seigneur. Ah c'est mon homicide Je ne le connais point et mon Seigneur est mort, Allez retirez-vous. Pirrus frappez plus fort, Et si l'on ne vous ouvre, en cette résistance, Faites agir la force avec la violence. Brisez tout, rompez tout. Arrêtez insolents Ou je saurai punir ces efforts violents. Ô ciel ? Où sommes-nous ? Quoi Seigneur un esclave Devant nous, à tes yeux te méprise et te brave ? Et cet objet superbe où tendent tes souhaits Refuse impunément l'honneur que tu lui fais ? Ah ! Permets-moi Seigneur de punir cet outrage. Que veux-tu ? C'est Perside ; il obéit. J'enrage, Quoi manquer de respect pour toi son Empereur, Je crève de dépit. Calme cette fureur, Il te sied mal Pirrus à faire le bravache Ayant le cour si bas, le courage si lâche, Et l'âme si contraire aux belles actions Qu'on peut voir sans trembler tes résolutions. Il est vrai qu'un sujet doit imiter son maître Soliman est cruel et lâche ; tu veux l'être : L'inhumain vient de mettre un Eraste au tombeau Un autre reste encor, tu seras son bourreau, Mais déjà tu pâlis à l'aspect de mes armes, Cet armet t'épouvante et te met en alarmes Et ton maître rougit d'avoir si lâchement, Assassiné celui dont il fut l'ornement. C'est trop, c'est trop souffrir dépêchez Janissaires Perdez cet insolent, percez ces téméraires, Faites pleuvoir sur eux une grêle de traits Si Perside parait, respectez ses attraits, Mais que cet arrogant sente toutes vos flèches Faites dessus son corps mille mortelles brèches, Châtiez son orgueil. Il en tient, il est mort Ô favorable trait ? Ô bienheureux effort Cher Eraste à ce coup je vais cesser de vivre Mon cour te va trouver, mon âme te va suivre, Et par une action digne de ta pitié Rejoindre sa plus chère et plus belle moitié. SCÈNE IX. Herminie, Soliman, Haly, Pirrus et Janissaires. Arrêtez-vous Soldats Perside va paraître Mais ou ses déplaisirs me la font méconnaître. Ou ce ne sont pas là les attraits glorieux, De l'objet inhumain qui plaît tant à mes yeux Ce n'est pas là Perside, elle a bien plus d'audace. Tu pouvais dire aussi qu'elle avait plus de grâce Mais Seigneur ce bel Astre autrefois sans pareil, Dont le brillant éclat faisait honte au Soleil Est prêt de s'éclipser et de ravir au monde, Les rais d'une clarté qui n'eut point de seconde. Que dit-elle ! ô malheur. Ce que tu pourras voir. Allons allons lui rendre un funeste devoir Ah ! Divine Perside adorable lumière, Déité que j'adore écoute ma prière, Et me permets au moins pour la dernière fois De voir ton beau visage et d'entendre ta voix. Ta Hautesse à présent peut entrer sans obstacle Et te rendre témoin d'un funeste spectacle, Ta fureur en est cause et tu peux en ce jour Voir les justes effets qu'a produit son amour. SCÈNE DERNIÈRE. Perside, Soliman, Haly, Pirrus, Herminie, les Janissaires. Dans une chambre. Approche Soliman, viens cruel viens Perside Boire le sang d'Eraste et celui de Perside, Le sang de mon époux ne te suffisait pas Soûle-toi maintenant de ce sanglant repas, Vois Tigre couronné vois l'effet de ta rage Vois de tes cruautés le déplorable ouvrage, Telles sont tes amours, telles sont tes faveurs Tels sont pour toi mes feux, et telles mes ferveurs. C'en est fait, je me meurs, ma force est affaiblie Et de mon triste corps mon âme se délie, Reçois-la cher Eraste au partir de ces lieux Et prends.... Attends un peu, Perside, ouvre les yeux... Diffères d'un moment ce trépas pitoyable Et vois par ses remords expirer un coupable, Vois quelle est sa douleur, quel est son repentir Quels sont les rudes traits qu'ils lui font ressentir, Et si de ce tourment tu n'es pas satisfaite, Vois lui souffrir pour toi le trépas qu'il souhaite, Mais tu n'écoutes pas ni ma voix ni mon deuil, Et ta haine te suit jusques dans le cercueil N'importe, il te faut suivre et réparer mon crime, Non je ne te veux pas dérober ta victime ; J'ai répandu ton sang celui de ton époux, Il faut qu'ici le mien se répande pour vous Conseillers inhumains, lâches monstres d'envie, Vous qui fûtes toujours les bourreaux de ma vie, Ne laissez plus languir ce misérable corps, Faites faites sur lui de plus justes efforts Ravissez-lui le jour, avancez son supplice, Et vos mains lui rendront un agréable office Mais je l'attends en vain de votre lâcheté Ma douleur vous prévient en cette extrémité, Ah ! son excès me tue, et je sens que j'expire, Sujet infortuné de mon premier martyre Vertueuse Herminie objet rare et charmant, Que je devais traiter plus favorablement, Si quelque sentiment te reste dedans l'âme Des premières ardeurs que t'inspira ma flamme, Ne me refuse pas un rayon de pitié Et souffre que je meure avec ton amitié De cet unique espoir mon Esprit se console, Mais ma force me laisse, et mon âme s'envole. Il n'est qu'évanoui portez le promptement Dessus le premier lit de son appartement, Le plus commodément et vos soins et votre aide Donneront à ses sens un utile remède, Amour qui vois ici ce beau corps abattu Ne crois pas qu'à tes traits il serve de Trophée, Ici malgré la mort et ta flamme étouffée, Triomphent seulement l'honneur et la vertu, Ou s'il te reste encor quelque faible puissance Elle naîtra de ma constance. Qui fera revivre tes feux Favorise mon espérance. Mais si tu réponds à mes voeux Accorde à ma persévérance. Après tant de malheurs un succès plus heureux.