SCÈNE II. Bajazet, Haly, Herzegoglis.
BAJAZET.
Qu'Herzegoglis avecques toi demeure.
Au pitoyable état où le destin m'a mis,
Que résoudrai-je enfin mes chers et vrais amis.
La paix dans mon État, le repos dans mes villes,
Je me sens déchirer par des guerres civiles,
Au milieu des plaisirs je n'ai rien que du deuil,
Et le Trône où je suis est pire qu'un cercueil.
Lorsque je fus vainqueur, dans les guerres publiques,
J'eus chez moi de plus forts ennemis domestiques,
Qui jaloux qu'ils étaient de me voir couronné,
M'ôtèrent le repos quand je leur eus donné :
Mais enfin assisté de la Toute-puissance,
J'étouffai ce tumulte encore à sa naissance :
Le triomphe bientôt de ces rébellions
Et répandis le sang de ces plus fiers lions :
Achomat fut de tous ma première victime,
Je lui fis ressentir la peine de son crime :
Rompis tous ses desseins, et je fis sagement
Avorter ses projets en leur commencement.
Un fils lui succéda, dont les lâches pratiques
Soulèvent contre moi mes meilleurs domestiques :
Il m'affronte, il m'attaque, enfin par un combat
Se déclare ennemi d'un père, et de l'État.
Mais inutilement il en veut à ma gloire,
Le Ciel d'entre ses mains arrache la victoire :
Et me voyant privé de forces et d'appui,
Il se déclare enfin pour nous et contre lui.
Sélim désespéré d'une telle conduite,
Recherche tout honteux son salut en sa fuite.
Et voyant tous ses gens sans désordre et sans loi,
Note: Germain : frère de père et de mère ; et il se dit à la différence des frères utérins, qui ne sont frères que du côté de la mère. Germain, se dit aussi des proches parents collatéraux, ou cousins qui sont les enfants de deux frères, ou de deux soeurs, et issus de germains, les enfants des cousins germains. [F]Il fuit chez son germain, encor tout plein d'effroi,
Là ce monstre inhumain, endurci dans son crime,
Suit avec plus d'ardeur la rage qui l'anime,
Note: Désister : Cesser. [SP]Il ne désiste point, et sa punition
Fait augmenter l'excès de son ambition.
Il suit les sentiments que la rage lui donne,
Et pour mieux envahir mon Sceptre et ma Couronne :
Il gagne enfin le coeur de mes meilleurs amis,
Et de tous mes sujets en fait mes ennemis.
Ils suivent donc le fils et détestent le père,
Et les obligeant tous à lui vouloir complaire,
Sans plus considérer ni son sang ni sa foi.
Il se fait demander et pour maître et pour Roi.
C'est là, mes chers amis, l'état de ma disgrâce,
C'est là ce qu'ont causé les crimes de ma race ;
Veillez par vos conseils ma vieillesse assister,
Et dites si je dois céder ou résister.
HALY.
Grand Roi dans ce malheur, combien qu'il soit extrême,
Tu pourrais mieux que nous te conseiller toi-même :
Mais afin d'obéir à ton commandement,
Je dirai sur ce point quel est mon sentiment.
BAJAZET.
Parle et qu'Herzegoglis réponde à tes maximes,
S'il ne les trouve pas être assez légitimes.
HALY.
Ces soldats qui pour mieux monter en un haut rang,
Nourris d'un lait Chrétien en répandent le sang,
Qui tuent leurs parents pour conserver les nôtres,
Et pris par un tribut nous en acquièrent d'autres.
Ces braves inconnus, ces illustres guerriers,
Note: Cyprès : La mort, le deuil, la tristesse. Les cyprès funèbres. Changer les lauriers en cyprès, changer la victoire en deuil, faire trouver la mort dans la victoire. [L]Qui dessus leurs Cyprès font croître nos Lauriers.
Ce coeur des Ottomans par qui l'État respire,
Ces invincibles bras du corps de notre Empire,
Qui pour de rendre un jour nos plus fermes soutiens,
Quittent leurs libertés, et souffrent nos liens.
Les Janissaires, dis-je, avec raison demandent
D'avoir part dans le choix de ceux qui leur commandent.
Ils seront aux combats plus forts et généreux,
Leur témoignant ainsi l'estime qu'on fait d'eux.
On obéit bien mieux à celui que l'on aime,
Et celui qu'on choisit est un autre soi-même :
Dans tout ce qu'il commande on le suit aisément,
Parce qu'on suit ainsi son propre jugement.
Mais appliquer un chef avecques des parties,
À qui quelque défaut les rend mal assorties,
C'est faire que le tout devienne moins puissant,
Et que son mouvement soit faible et languissant.
C'est comme un ver coupé dont la tête avec peine,
Tire après soi le corps qui se suit et se traîne.
De Sélim et d'Achmet, regarde qui vaut mieux ;
L'un leur est en horreur, pour l'autre ils font des voeux.
Mets ton Sceptre en sa main, ils en gagneront d'autres,
Prive l'en ils perdront ceux qui sont déjà nôtres.
Il faut, se disent-ils, pour nous donner des lois,
Un Roi qui sache aussi commander à des Rois,
Qui pour compagne au camp, ne traîne que la gloire,
Dont les embrassements enfantent la victoire.
Il nous faut un Soleil dont le regard puissant
Note: Croissant : Croissant de Lune, un des symboles du monde musulman. Nous fasse un jour remplir le vide du croissant :
Et qui sachant de l'aigle abaisser la fortune,
L'empêche de voler au-dessus de la Lune.
Un Prince qui mettant tout le monde en ses fers,
Ne fasse qu'un État de tout cet Univers.
Achmet n'est pas celui de qui le grand courage
Doit acquérir un jour un si bel héritage ;
Le Sceptre dans ses mains sera comme un roseau,
Note: Bandeau : voir supra.Et son front en enfant portera le bandeau.
Si tu veux l'élever où sa folie aspire,
Ton règne finissant, tu finis cet Empire.
D'un second Bajazet le trop injuste choix,
Fera ce qu'un premier pensa faire autrefois ;
Dieu nous le laissera comme un digne supplice,
Et nous serons punis par l'effet de son vice.
Laissant tout notre État sans désordre et sans loi,
Lui-même il punira ceux qui l'auront fait Roi.
Ce lâche ne pourra donner à notre armée
Les puissants mouvements dont elle est animée.
Il sera commandant par un si mauvais sort,
Une tête de bois mise sur un corps mort.
Note: Hautesse : Titre d'honneur qu'on donne en ces quartiers aux Empereurs d'Orient. [F]Cependant ta Hautesse aura fait cet Ouvrage .
De toi tu laisseras une si belle image,
Ne considérant pas qu'en élisant Sélim,
Tes victoires seront l'effet de son dessein.
Par lui tu revivras après tes funérailles,
Par lui quoique au tombeau, tu seras aux batailles,
Et commandant partout, ainsi que c'est son but,
Bajazet dira-t-on fut celui qui t'élut.
Seigneur prend donc bien garde en l'état où nous sommes,
À nous donner des Rois qui ne soient pas moins qu'hommes.
Par cet illustre choix que tu feras pour nous,
Même en ne régnant plus tu feras des jaloux,
Et ton grand jugement nous fera reconnaître,
Qu'en cessant d'être Roi, tu mérites de l'être.
HERZEGOGLIS.
Depuis le temps qu'on voit régner les Ottomans,
L'on n'a point vu Seigneur de pareils sentiments.
Quelque ardeur qu'aux combats nous ayons vu paraître,
Un sujet n'eut jamais droit de se faire un maître :
Quelque sang qu'un soldat pour son Prince ait versé,
L'honneur de le servir l'a trop récompensé.
N'écoute pas Seigneur, cet injuste requête,
Les bras défendent bien, mais ils ne sont pas la tête,
Et ces membres si forts qui font tous nos exploits,
Peuvent donner des coups, mais n'ont jamais de voix.
Si le droit de choisir devenait leur salaire,
Nous verrions naître un Roi de chaque Janissaire.
Et de l'État ainsi renversant tous les rangs,
D'esclaves qu'ils étaient ils deviendraient tyrans.
Empêche le malheur, il n'est rien de plus rude,
Que l'ordre d'un esprit né dans la servitude ;
Il se venge des maux de sa captivité,
Surtout où peut agir son peu de liberté ;
Et croit que qui lui rend ce don de la nature,
Ne fait pas un bienfait, mais finit une injure.
Puisque donner ainsi c'est leur rendre leur bien,
Et que leur rendre enfin, c'est ne leur donner rien.
Mais l'on obéit mieux à celui que l'on aime,
Et celui qu'on choisit est un autre soi-même.
Il parle à Haly.
Ne regardez-vous pas qu'ainsi le Prince élu,
Sur ceux qui l'ont fait Roi n'est jamais absolu :
Il ne saurait sur eux exercer sa puissance,
Puisqu'elle même fait toute sa dépendance.
Et leur étant unis par de si forts liens,
Tous ceux qui l'ont fait maître, il les croit tous les siens.
Alors qu'on joint un chef avecque des parties,
À qui quelque défaut les rend mal assorties ;
Le tout qui s'en produit en devient moins puissant,
Et dans son mouvement est faible et languissant ;
Mais ce tout est bien fait, et rien ne lui peut nuire,
Étant fait par un Roi qui seul le peut produire,
Ou son autorité qu'on respecte toujours,
Règne en celui qui règne à la fin de ses jours.
Dedans l'autre au contraire, où le soldat conspire,
À donner à quelqu'un ce grand et vaste Empire :
Celui qu'on a choisi n'ose donner des lois,
Ceux qu'il vit compagnons, il les croit tous des Rois.
La tête en quelque sorte est d'une autre structure
Que le reste du corps qui forment la structure :
Autrement c'est un corps mal ordonné, confus,
Où l'on appelle chef ce qui paraît le plus.
Achmet, ce dites-vous ? N'est pas un grand courage ;
Dites vos sentiments ; mais sans faire d'outrage,
Considérez celui dont il est le portrait,
Vous devriez l'honorer quand il serait mal fait.
Mais pourquoi le blâmer, attendez quelque ouvrage,
Sélim montre du coeur, mais un coeur plein de rage.
L'oisiveté vaut mieux que la rébellion :
L'obéissance aussi plus que l'ambition.
Si même contre un père il forma ses tempêtes,
Que ne souffriront point ces misérables têtes ?
Il ne les verra plus que comme ses bourreaux,
Ayant tué son père, il rompra ses couteaux.
Il leur sera donné comme un digne supplice ;
Ils se verront punis par l'effet de son vice,
Et se montrant ainsi sans mémoire et sans foi,
Lui-même il punira ceux qui l'auront fait Roi.
Seigneur, prenant Sélim, tu témoignes ta crainte,
Lui-même prend ton choix comme fait par contrainte ;
Pour tout remerciement de l'avoir couronné,
Il reçoit comme un mal, un bien trop tard donné,
Et dit déjà partout par un sentiment traître,
Il m'a fait Empereur, il ne pouvait plus l'être.
Le grand Prince Ottoman alors qu'il fit ses lois,
Dit que les Turcs seraient esclaves de leurs Rois,
Établissant entre eux cette grande distance,
Afin que les sujets fussent sans résistance.
Par là notre Monarque est toujours absolu :
Par là toujours on fait ce qu'il a résolu.
Voyant sa Majesté l'on ne peut se résoudre
D'en voir briller l'éclair sans en craindre la foudre,
Et dedans cet éclat les Trônes sont des Cieux,
Où ce n'est qu'en tremblant qu'on peut porter les yeux.
HALY.
Mais comme un Médecin cherchant un bon remède,
Pour chasser loin d'un corps le mal qui le possède,
Donne pour l'affranchir des rigueurs du trépas
Un suc qu'auparavant on ne connaissait pas.
Ainsi souvent un Roi par des justes maximes,
Doit dedans ses sujets approuver quelques crimes,
Et pour lors qu'un État qu'accroît et prend son cours.
Il peut faire autrement que dans ses premiers jours.
Cela doit encor plus se réduire en usage,
Lorsqu'un Prince ne peut repousser quelque outrage,
Et joignant l'impuissance à sa sévérité,
Il fait cesser l'éclat de son autorité.
Seigneur dedans l'état où je vois les affaires,
Les remèdes meilleurs ne sont pas ordinaires ;
De l'Empire aujourd'hui, étire un peu tes soins,
Pour être toujours Prince, apprends à l'être moins.
La vertu fait un Roi, non pas l'obéissance ;
Il est toujours monarque, encor que sans puissance,
Et l'absolu pouvoir qu'il conserve chez lui,
Vaut bien celui qui fait qu'il règne chez autrui.
Si Sélim, dites-vous, paraît grand capitaine,
Ses combats l'ont rendu digne de notre haine ;
Et nous ne devons pas donner avec erreur,
À la rébellion le prix de la valeur.
Mais il a combattu pour ce qu'on lui dispute,
Et s'il s'est élevé c'est de peur de sa chute ;
Il a cru seulement être ses ennemis
Ceux qui par leurs conseils, te sont mauvais amis.
Il aime plus les siens que sa propre personne.
C'est pour te Couronner qu'il prétend la Couronne ;
Et désire arracher par ses justes desseins,
Les chaînes, et non pas le Sceptre de tes mains.
Si l'État a souffert des désordres extrêmes,
Tes Conseillers, Seigneur, en sont la cause eux-mêmes :
Ils t'avaient conseillé de perdre un innocent,
Et pour se mieux défendre il s'est rendu puissant.
Ainsi seuls ils ont fait nos sanglantes alarmes,
Ainsi dedans ses mains ils ont porté les armes :
Et Sélim seul ayant témoigné sa valeur,
On les croit innocents parce qu'ils sont sans coeur.
On dit qu'un Prince élu trouve qui lui résiste,
Et l'État sous ses lois avec peine subsiste ;
Mais non quand les soldats élèvent dans ce rang
Un qu'ils devaient déjà respecter par son sang.
Alors pour obéir ils n'ont point de contrainte,
Leur choix fait leur amour, sa personne leur crainte,
Et ces deux forts liens des Rois et des sujets,
Font un Prince absolu dedans tous ses projets.
Considère Seigneur, la force d'une armée,
Quand pour son intérêt elle s'est animée,
Rien ne peut relever un si fort mouvement :
Et le crime s'accroît par la peur du tourment.
Un grand peuple est toujours un monstre redoutable,
Qui comme il est sans yeux, en est plus effroyable.
Et tu n'ignores pas que l'on dit en tout lieu,
Que quand le peuple parle, il est la voix de Dieu.
HERZEGOGLIS.
Il est dans les États de certaines maximes,
Qu'on ne saurait choquer sans commettre des crimes.
L'insolence autrement prenant un libre cours,
La face de l'État changerait tous les jours.
Ce sont lois où l'Empire établit ce Génie,
Qui conserve toujours sa parfaite harmonie,
Et qui des autres lois étant le fondement,
Font le pouvoir d'un Prince, et son gouvernement.
Tu ne dois pas encor délaisser les affaires,
Pour tout ce qu'on te dit, de tous ces Janissaires,
Grand Prince c'est le bien de tous les Musulmans,
De leur savoir donner de rudes châtiments.
Tu dois pour te venger d'une telle insolence,
Employer les efforts de toute ta puissance ;
Note: Potentat : Tout prince souverain, dont la puissance est redoutable par la grandeur de ses forces et par le poids de son autorité. [L]Lorsqu'un peuple est rebelle, un puissant potentat
Perd avec plus d'honneur ses jours que son État.
Ce qu'ils nous ont gagné les oblige à mieux faire,
L'impunité jamais ne devient un salaire :
Et quoiqu'avec ardeur on ait bien combattu,
Le vice n'est jamais le prix de la vertu.
S'ils ont formé l'État, doivent-ils le détruire,
Et des bienfaits rendus servent-ils pour lui nuire ?
Quoi qu'on veuille alléguer de Sélim furieux,
Le crime qu'il a fait le doit rendre odieux :
Mais si contre son père il parut si barbare,
Du sang de ses voisins sera-t-il moins avare ;
Sa rage paraissant dedans tous ses projets,
Fera des ennemis, et non pas des sujets.
Ainsi toute la terre à notre astre opposée,
Rendra par l'Univers sa lumière éclipsée ;
Et par une aventure effroyable à nos jours,
Le Soleil décroîtra contre son propre cours.
Quand la fureur d'un Roi nous donne des alarmes,
Nous ne lui devons pas répondre avec les armes.
Nous devons nous purger, et c'est toujours mieux fait,
De souffrir innocent que commettre un forfait.
Ce n'est pas aux sujets de juger si les Princes
Sont capables des soins qu'ils doivent aux Provinces.
Et par les sentiments d'un orgueil sans pareil,
De juger des esprits qui sont dans leur conseil.
S'ils font quelque action qui ne soit pas permise,
Nous devons néanmoins souffrir leur entreprise :
Car dedans la fureur de leurs plus rudes coups,
Ils faillent contre Dieu, mais non pas contre nous.
Ne t'épouvante pas des forces d'une armée,
Dont le dessein s'en va se réduire en fumée,
Étant ainsi sans Chef leur ardeur les trahit,
Tous voulant commander, personne n'obéit ;
Et par l'étrange effet d'une insigne injustice,
Eux-mêmes de leurs bras ils forgent leur supplice :
Dieu regarde le peuple, il est vrai, quelquefois,
Même pour nous parler il le prend pour sa voix ;
Mais c'est lorsqu'il s'agit de faire quelque injure,
À ces premières lois que dicte la nature :
Car lors comme on prétend s'éloigner de l'erreur,
Un sentiment commun est trouvé le meilleur.
Mais alors qu'il s'agit de donner des Couronnes,
L'Esprit de Dieu descend dedans d'autres personnes ;
Note: Oeuvre : Substantif plutôt masculin, tantôt féminin. L'académie le fait toujours féminin ; mai quelque déférence qu'on doit avoir pour ses décisions, il est bien difficile de ne pas convenir qu'il est quelques fois aussi masculin. [F]Afin de mieux former cet oeuvre précieux,
Dieu prend aussi des Rois qui sont comme des Dieux ;
Il se sert de leur voix pour faire un tel ouvrage,
Et leur image sert à faire leur image.
BAJAZET.
Je connais en tous deux et le zèle et l'ardeur,
Qui vous fait disputer pour ma seule grandeur ;
Mais depuis qu'en tous lieux par notre monarchie,
La terre des Chrétiens s'est trouvée affranchie,
Si nous ne souffrons pas des princes pour rivaux,
De bien moins nos sujets seront-ils nos égaux.
Non sous moi les soldats n'auront pas la puissance
De faire librement agir leur violence ;
Je veux laisser l'État comme je l'ai reçu,
À celui que pour Roi j'aurai moi-même élu.
HALY.
Seigneur ils sont puissants.
BAJAZET.
N'importe mon courage
Sait comment amortir les effets de leur rage ;
Insolents ennemis de votre propre bien,
Qui faites votre mal, en procurant le mien.
Si vous avez formé l'Empire de mon père,
Vous êtes cause aussi de toute ma misère :
Et ce corps si puissant que vous avez produit,
Par vos divisions s'est vu souvent détruit.
On vous a bien payé de vos plus grands services,
Quand l'on n'a pas suivi vos crimes des supplices.
Et le sang qu'en vos corps ma clémence a laissé,
Et le prix de celui que vous avez versé.
Cependant vous voulez, aussi lâches que traîtres,
Pour avoir bien servi qu'on vous souffre pour Maîtres.
Ah ! Que plutôt le Ciel éteigne mon flambeau ;
Et renversant mon trône en fasse mon tombeau.
Qu'il soit dit que le sort d'un insolent caprice,
Ait pu vaincre sous moi celui de la justice.
Un Roi ne peut des siens recevoir un bienfait,
Et pour peu qu'il fléchit il tombe tout à fait.
HALY.
Seigneur.
BAJAZET.
Je n'entends plus tes étranges maximes,
Qui font ici passer pour remède des crimes.
Et pour me bien venger de leur noir attentat,
Je me perdrai plutôt avec eux et l'État.