SCÈNE II. Foucaral, Le Commandeur, Don Alvare.
FOUCARAL.
Monseigneur Don Japhet, des hommes le plus rare,
Et le plus fou qui soit d'Angleterre au Japon,
M'envoie ici savoir, si vous trouverez bon
Que sa digne personne, et sa fine folie,
Viennent chasser d'ici toute mélancolie.
LE COMMANDEUR.
Quel est donc ce Japhet que je ne connais point ?
DON ALVARE.
Japhet ? C'est la folie en chausse et en pourpoint ;
L'Empereur en vertu de son extravagance,
En a fait en deux ans un homme d'importance,
Et d'un gueux mort de faim, un fou très opulent.
FOUCARAL.
Il s'est mis dans la tête un amour violent
Pour un Ange d'Orgas, Madame Léonore
Votre nièce, Monsieur.
DON ALVARE.
Je le croyais encore,
Auprès de l'Empereur.
FOUCARAL.
Son bon temps est passé,
Et l'Empereur enfin s'en est, dit-on, lassé :
Maintenant dans Orgas, fou qu'il est, il espère
Qu'il obtiendra de vous, et de Monsieur son père,
Madame Léonore, et je ne pense pas
Qu'il soit encor longtemps sans venir sur mes pas,
Tant sa présomption incessamment le presse
De venir s'étaler aux pieds de sa maîtresse,
Note: Trancher : se dit encore ironiquement des fanfarons, de ceux qui affectent de paraître plus qu'ils ne sont. Il tranche du grand Seigneur ; pour dire, Il fait le grand Seigneur. [T]Et de venir ici trancher du grand seigneur ;
Car c'est là sa marotte.
LE COMMANDEUR.
Il me fait trop d'honneur,
Ma nièce Léonore est fort à son service.
FOUCARAL.
Il ne faut pas douter qu'il ne vous divertisse,
Il est un peu plus fou qu'il n'était à la Cour,
Jugez ce qu'il doit être avec beaucoup d'amour.
LE COMMANDEUR.
Nous en régalerons notre chère Cousine.
DON ALVARE.
L'absence de son fils la tue, et m'assassine,
S'il était marié, je le serais aussi
Avec sa Soeur que j'aime, et qu'elle amène ici :
Vous le savez, Monsieur, ce que j'ai fait pour elle,
Cependant depuis peu cette Mère cruelle
À soi-même, à sa fille, et plus encore à moi,
Diffère notre hymen, et ne dit point pourquoi ;
Et ce n'est que depuis que ce fils qu'elle adore,
N'écrivant point, la fait douter s'il vit encore,
Auprès d'elle, Monsieur, vous pouvez m'obliger.
LE COMMANDEUR.
Je vous entends, il faut la chose ménager,
Et bien prendre son temps.
FOUCARAL.
Avec votre licence
Je m'en vais donner ordre à notre subsistance,
Et visiter l'office.
LE COMMANDEUR.
Et quand arrive-t-il
Votre Maître Japhet ?
FOUCARAL.
Son esprit volatil ;
Pressé de son amour qui lui donne des ailes,
Le rangera bientôt auprès des Demoiselles.
LE COMMANDEUR.
Note: Allusion au personnage de Cervantes : Don Quichotte.Je veux bien recevoir ce second Don Guichot,
Instruire tous mes gens, et leur donner le mot,
Afin que rien ne manque à la cérémonie,
Note: Achever : (figurément et familièrement) consommer la ruine, le désappointement, les contrariétés de quelqu'un. [L]Dont je veux achever Don Japhet d'Arménie.
DON ALVARE.
Note: Achever : C'est un fou achevé, pour dire, entierement fou. [F]Il est tout achevé si jamais on le fut ;
Il a l'esprit gâté si jamais homme l'eut,
C'est un fou très complet.
Foucaral revient sur le Théâtre.
Don Japhet le fantasque,
Note: Trotter comme un Basque : (familièrement) Aller, courir comme un Basque, aller, courir fort vite. [L]Jusques ici d'Orgas a trotté comme un Basque.
Il arrive.
LE COMMANDEUR.
Hé mon Dieu, courez-y promptement.
Seigneur Alvare, allez l'amuser un moment,
Cependant que j'irai donner ordre à la pièce :
Et vous Rodrigue, allez faire venir ma Nièce ;
Il n'en n'est pas besoin, car elle vient à nous,
Ma nièce vous verrez, aujourd'hui votre Époux,
Le brave Don Japhet des hommes le plus sage.
LÉONORE.
Je ne mérite pas un si grand Personnage.
LE COMMANDEUR.
Je m'en vais donner ordre à le bien recevoir,
Et vous de votre part faites votre devoir
À lui faire un accueil digne de son mérite.
SCÈNE IV. Le Commandeur, Don Alvare, Rodrigue, Don Japhet, Léonore, Marine, Les gens du Commandeur, Un Harangueur.
On fait du bruit derrière le Théâtre.
LE COMMANDEUR.
Si tous mes gens sont prêts qu'on les fasse sortir,
Aux dépens de Japhet je me veux divertir ;
Don Alvare, instruisez ma nièce.
RODRIGUE.
Place, place,
Voici le grand Japhet.
LE COMMANDEUR.
Que tout le monde fasse
Ce que j'ai commandé.
DON JAPHET.
Pascal, Roc, Foucaral !
Dites bien que je suis venu sur un cheval,
Les traîtres n'y sont plus. Ah, Canailles, Canailles !
Vous m'avez donc quitté par droit de représailles,
Il faut que je vous quitte : ô gibiers de Corbeaux !
Puissiez-vous devenir chef-d'oeuvres de Bourreaux !
LE COMMANDEUR.
Puisque le grand Japhet me rend une visite,
Je me tiens très heureux.
DON JAPHET.
Monsieur.
DON ALVARE.
À son mérite,
Il n'est rien de pareil.
DON JAPHET.
Si.
LE COMMANDEUR.
Son nom est connu
Partout.
DON JAPHET.
Je.
DON ALVARE.
Par trois fois qu'il soit le bienvenu.
DON JAPHET.
Messieurs.
DON ALVARE.
Le Commandeur, mon Seigneur et mon Maître
Est ravi de vous voir.
DON JAPHET.
Mais.
LE COMMANDEUR.
Pour bien reconnaître
Tant d'obligation, je ne sais pas comment
On peut s'en acquitter par un seul compliment.
DON JAPHET.
Enfin.
LE COMMANDEUR.
Nous tâcherons par notre bonne chère
De vous faire oublier la Cour.
MARINE.
Et moi j'espère
Que le grand Don Japhet m'aimera.
LÉONORE.
Quant à moi
Je lui donne mon coeur, mon amour, et ma foi.
DON JAPHET.
Ha Messieurs, permettez au moins que je réponde :
Trêve de compliments, ou que Dieu vous confonde.
Pascal, Roc, Foucaral, parlons à notre tour.
LE HARANGUEUR, toussant, reniflant et se mouchant, en soutane.
Monsieur.
DON JAPHET.
Ventre de moi, je parlerai.
LE HARANGUEUR.
La Cour
Qui vous a vu briller comme le Zodiaque,
Et qui fit cas de vous comme d'un Roi d'Ithaque.
DON JAPHET.
Ô de ces grands parleurs le plus impertinent,
Parle sans te moucher.
LE HARANGUEUR, toujours reniflant, toussant.
J'ai fait incontinent :
La Cour donc, dont jadis vous fîtes les délices
De notre grand César Charles-Quint.
DON JAPHET.
Quels supplices
Suis-je venu chercher.
LE HARANGUEUR.
La Cour donc, où jadis
Chacun vous regarda comme un autre Amadis,
Alors que.
DON JAPHET.
Concluez.
LE HARANGUEUR.
La Cour donc.
DON JAPHET.
Que fit-elle,
La Cour, la Cour, la Cour.
LE HARANGUEUR.
La Cour donc, qu'on appelle
Le céleste séjour.
DON JAPHET.
Quoi toujours renifler,
Moucher, tousser, cracher, et toujours me parler ?
Et moi je ne pourrai dire quatre paroles ?
Note: Pistole : Monnaie d'or étrangère battue en Espagne, et en quelques endroits d'Italie. La pistole est maintenant de la valeur d'onze livres, et du poids des louis, et au même titre et remède. [F]Et de grâce, Messieurs, je donne cent pistoles,
Et qu'on m'ôte d'ici ce fâcheux renifleur,
De quoi diable sert-il à votre Commandeur.
DON ALVARE.
C'est son grand Harangueur.
DON JAPHET.
Ô le plaisant office!
Et vous qui me parlez, quel est votre exercice ?
DON ALVARE.
Je suis son grand Veneur.
DON JAPHET.
Et tous ces grands fous-là.
DON ALVARE.
Ce sont ses Officiers.
DON JAPHET.
Le beau train que voilà
Et votre Commandeur reçoit ainsi son monde ?
Et ne veut pas chez lui que personne réponde ?
DON ALVARE.
Il vous honore fort.
DON JAPHET.
Je m'en suis aperçu ;
Mais l'Empereur saura comment on m'a reçu,
Et si l'on traite ainsi les hommes de mérite ;
Reçoit-on bien un homme alors que l'on le quitte ;
Et qu'on lui met en tête un maudit Harangueur ;
Qui m'aurait à la fin fait mourir de langueur ;
J'en écrirai deux mots à l'illustre Duc Dalve,
Son Parent et le mien. Bon Dieu.
On tire un coup d'Arquebuse contre son oreille.
DON ALVARE.
C'est une salve
Pour bien vous régaler.
DON JAPHET.
Ah ma foi je suis sourd.
Ce grand bruit a percé ma pauvre tête à jour ;
nièce du Commandeur autrefois villageoise,
Et main tenant grand Dame, et Dame discourtoise ;
Note: Guet-apens : embûche dressée pour assassiner, pour dévaliser quelqu'un, pour lui faire quelque grand outrage. [L]Est-ce de guet-apens, ou par cas fortuit
Que l'on m'a voulu perdre à force de grand bruit ?
De cent sots compliments sans y compter le vôtre,
Contre moi décochés, entassés l'un sur l'autre,
N'était-ce pas assez pour me faire enrager,
Sans qu'un chien d'Harangueur me vint aussi charger
De son hem, de sa toux, de sa reniflerie :
Et pourquoi sur le tout cette mousqueterie ?
À moi de l'arme à feu l'ennemi capital :
Rendez-moi donc réponse, Ange ou Démon fatal.
On fait semblant de parler, et on ne fait qu'ouvrir la bouche sans prononcer.
Parlez haut, parlez haut, sans tant mâcher à vide,
Ô que l'amour devient à mon goût insipide !
Je ne vous entends point, me parlez-vous ou non ?
Elle me parle, hélas, je suis sourd tout de bon !
Elle feint de parler, c'est moi qui n'entends goutte ;
Le Cousin de César est assourdi sans doute :
À mon âge Messieurs, n'est-ce pas grand pitié
De m'avoir rendu sourd sous ombre d'amitié ?
Parlez bien haut Messieurs, de grâce à la pareille,
Vérifions un peu ma surdité d'oreille :
Hélas on s'égosille, et je n'entends non plus
Que si l'on me voulait emprunter mes écus :
Maudit Amour, maudit Orgas, maudit voyage,
Maudite Léonore, et maudit son voyage :
Le Commandeur revient.
Ha Commandeur d'Enfer vous voilà de retour,
En êtes-vous bien mieux de m'avoir rendu sourd ;
Vous riez, est-ce ainsi que mon malheur vous touche ?
Peste soit le grand fou, comme il ouvre la bouche.
Ô le fâcheux objet alors qu'on n'entend rien,
De voir ouvrir ainsi tant de gueules de chien ;
Sur mon Dieu je voudrais aussi perdre la vue,
Afin de ne voir point cette sotte cohue,
J'aimerais bien mieux voir un troupeau de Sergents ;
Ô que les grands Seigneurs ont de vilaines gens !
Pascal, Roc, Foucaral, il faut plier bagage,
Me voilà revenu de mon beau mariage ;
Dieu m'a donné l'ouïe, et Dieu m'en a perclus,
Et que de Léonore on ne me parle plus ;
La Drôlesse me coûte et l'honneur et l'ouïe,
Et je ne l'en vois pas guère moins réjouie.
Si jamais à Coquette.
LE COMMANDEUR, parle tout de bon.
Ha tout beau Don Japhet,
Vous guérirez bientôt.
DON JAPHET.
J'entends bien en effet,
Ha, sur mon Dieu j'entends !
LÉONORE, parlant le plus haut qu'elle pouvait.
Monsieur.
DON JAPHET.
Tout doux, la peste.
LÉONORE, toujours haut.
Vous nous entendez bien ?
DON JAPHET.
Je vous entends de reste,
Ne criez plus.
LE COMMANDEUR, fort haut.
Monsieur, si le bien de vous voir
A causé votre mal, j'en suis au désespoir.
DON JAPHET.
Il n'en est pas besoin, Commandeur de mon Âme,
Je vous entends mon cher, grand Dieu que je réclame,
Si vous m'avez rendu la faculté d'ouïr,
Léonore peut bien encore se réjouir ;
Je ne rétracte point le don de ma franchise :
Mais qu'on reparle encor pour assurer la crise,
Je ne suis plus fâché.
DON ALVARE fort haut.
Monsieur assurément
Vous n'aurez que la peur.
DON JAPHET.
Ha ! Parlez doucement,
Vous me rassourdissez, la peste comme il crie,
On dirait qu'il n'a fait autre chose en sa vie.
TOUS à la fois et fort haut.
Vous nous entendez bien ?
DON JAPHET.
Bon Dieu vous criez tous,
J'aimerais bien autant ouïr hurler des Loups.
LE COMMANDEUR, toujours haut.
On s'est accoutumé.
DON JAPHET.
Qu'on se désaccoutume,
Ma cervelle n'est pas dure comme une enclume.
TOUS fort haut.
Vous nous entendez donc ?
DON JAPHET.
Et oui, je vous entends
Pour la centième fois : mais c'est malgré mes dents
Qu'on me donne un fauteuil, Messieurs, et tout à l'heure,
Car quand on devient sourd, on se lasse, ou je meure ;
Et si vous m'aimez bien, notre cher Commandeur,
Qu'on ne me montre plus le vilain Harangueur,
S'il ne revient encore faire ses reniflades,
Note: Gourmade : Terme familier. Coup de poing, particulièrement sur la figure. [L]On me verra ma foi sur lui faire à gourmades.
Ne le voilà-t-il pas ?
Le Harangueur passe au travers du théâtre.
DON ALVARE.
Il n'a fait que passer.
DON JAPHET.
Qu'il ne passe donc plus, ou bien c'est m'offenser ;
Pour un si grand Seigneur, vous avez ce me semble
Autant de francs gredins qu'on puisse voir ensemble.
Ils ont la mine tous d'être de grands Vauriens,
Et je ne voudrais pas les changer pour les miens.
LE COMMANDEUR.
C'est par trop de chaleur qu'ils ont pu vous déplaire.
DON JAPHET.
Ou sottise, ou chaleur, ils avaient pu mieux faire :
Mais pour vous obliger j'oublierai le passé,
Je vous suis venu voir de mon amour pressé,
Engendré dans mon coeur par votre Léonore :
Que me répondez-vous ?
LE COMMANDEUR.
Que votre Amour l'honore.
DON JAPHET.
Oui, mais j'en mourrai moi, si vous ne vous hâtez ;
Car je suis fort pressé de mes nécessités :
Nous autres esprits chauds nous pressons les affaires,
Il faut donc donner ordre aux choses nécessaires.
LE COMMANDEUR.
Ne précipitons rien.
DON JAPHET.
Je meurs, d'homme d'honneur.
LE COMMANDEUR.
Je viens de recevoir ordre de l'Empereur,
De vous bien régaler ; de plus il amplifie
D'un brevet de Marquis Don Japhet d'Arménie.
DON JAPHET.
L'Empereur mon Cousin me donne un Marquisat ?
Bon Parent par mon chef, le présent n'est pas fat ;
Un Marquisat pourtant est chose fort commune,
La multiplicité de Marquis importune ;
Note: Emmarquiser : Terme de plaisanterie. Donner le titre de marquis. [L]Depuis que dans l'État on s'est emmarquisé,
On trouve à chaque pas un Marquis supposé.
LE COMMANDEUR.
Celui que l'on vous donne est nommé Rochesolles.
DON JAPHET.
Le nom ne m'en plaît pas beaucoup.
DON ALVARE.
Entre les pôles
Il n'en est pas un tel : son nom vient d'un Rocher,
D'où l'on voit chaque jour mille soles pêcher,
Dont la dîme est à vous.
DON JAPHET.
Est-ce un port ?
FOUCARAL.
Magnifique.
DON JAPHET.
Le Château du Marquis est-il beau ?
FOUCARAL.
Tout de brique.
DON JAPHET.
Il durera longtemps : les habitants du lieu,
Note: Morifique : adj. tiré de "Maures" synonyme de musulmans.Morifiques ou chrétiens ?
FOUCARAL.
Grands serviteurs de Dieu.
DON JAPHET.
Les Dames ?
FOUCARAL.
Elles sont et courtoises et belles.
DON JAPHET.
Douces ?
FOUCARAL.
Comme du lait.
DON JAPHET.
Je les aime bien telles ;
Et de Couvents, combien ?
FOUCARAL.
Neuf.
DON JAPHET.
Des paroisses ?
FOUCARAL.
Huit.
DON JAPHET.
Y prend-t-on des manteaux ?
FOUCARAL.
Par ci par là la nuit.
DON JAPHET.
Tant pis ; y souffre-t-on quelques filles de joie ?
FOUCARAL.
Selon.
DON JAPHET.
Et le Seigneur fait-il battre monnoie ?
FOUCARAL.
Tant qu'il veut.
DON JAPHET.
Lieu Public pour les comédiens ?
FOUCARAL.
Fort beau.
DON JAPHET.
J'en veux avoir souvent d'Italiens,
Je les trouve bouffons : mais toi que j'interroge,
Es-tu natif du lieu pour en faire l'éloge ?
FOUCARAL.
Un Maître que j'avais y fut pendu tout vif,
Pour avoir seulement coupé le nez d'un juif.
Le juge en est sévère.
DON JAPHET.
On y fait donc justice ?
FOUCARAL.
C'est le meilleur Bourreau qui soit dans la Galice.
DON JAPHET.
Je veux faire pourvoir dans les prochains États,
À la confusion de tant de Marquisats ;
Fais m'en ressouvenir : ô future Marquise,
Vous voyez que le Ciel mes desseins favorise :
Mais mon cher Commandeur, concluons vitement,
Je suis de mon amour pressé cruellement ;
Note: Humide radical : fluide imaginaire qu'on a regardé comme le principe de la vie dans le corps humain. [L]L'humide radical dans mon coeur se dissipe,
Mon esprit s'en altère, et mon corps s'en constipe.
LE COMMANDEUR.
Tenez bien quelque temps.
DON JAPHET.
Voire qui le pourrait,
Mon Amour me conduit à mon trépas tout droit.
LE COMMANDEUR.
Encor faudrait-il bien donner ordre aux affaires,
Vos Noces ne sont pas des Noces ordinaires,
Il y faut des Ballets, des combats de Taureaux.
DON JAPHET.
Taureaux, j'en suis, je veux y jouer des couteaux,
Et donner au public sans crainte de leurs cornes
Échantillon sanglant de ma valeur sans bornes ;
Note: Tauricider : Terme vieilli. Combattre et tuer les taureaux dans les courses de taureaux. [L]Je veux tauricider avec mon seul laquais.
FOUCARAL.
Tauricidez tout seul.
RODRIGUE tout bas à l'oreille du Commandeur.
Madame Anne Enriquez,
Dans la Cour du Château présentement arrive
Si mal, qu'on ne croit pas dans les deux jours qu'elle vive.
LE COMMANDEUR.
Je vais la recevoir, Monsieur tout aussitôt
Je reviens vous trouver.
DON JAPHET.
Allez, il ne m'en chaut,
Pourvu que mon Soleil incessamment m'éclaire :
Mais ne la vois-je pas avec mon Secrétaire ?
Il est récidivant le Faquin, et toujours
Il prend sa blanche main avec sa patte d'Ours ;
Je veux faisant semblant de chanter le surprendre,
L'ayant surpris, le battre, et puis le faire pendre.
CHANSON, sur le chant de "Las qui hâtera le temps".
Beauté seringue à brasier,
Coeur d'acier
Tu m'as mis le flanc,
À feu et à sang :
Hélas l'amour m'a pris
Comme le chat fait la souris.
Note: Pendard : Par exagération, celui, celle qui est digne de pendaison, qui ne vaut rien du tout. [L]Je t'y prends, grand pendard, tu baises donc sa main,
Aujourd'hui tu mourras ou pour le moins demain !
Quoi, ta bouche à tabac, de ses moites moustaches,
A cette main d'ivoire ose faire des taches ?
Icare audacieux, téméraire Ixion,
Je te juge et condamne à la décollation :
Note: Inquiné : Souillé (latinisme qui n'est pas en usage) [L]Et toi, de qui je tiens la main très inquinée,
Je t'exclus de l'honneur d'un futur hyménée.
LÉONORE.
Si vous vouliez m'ouïr.
DON JAPHET.
Je serais un grand sot.
DON ALFONCE.
Monsieur.
DON JAPHET.
Note: Cagou : Mot du style bas, pour signifier un homme qui vit d'une manière obscure et mesquine, et qui fuit la bonne compagnie. [T]Tais-toi truand, pied plat, cagou, bigot.
LÉONORE.
Monsieur assurément si vous vouliez m'entendre,
Vous connaîtrez l'erreur qui vous a pu surprendre.
DON JAPHET.
Je vous entends, parlez.
LÉONORE.
Votre homme m'ayant fait
Des Compliments pour vous, pour montrer en effet
Jusqu'à quel point mon coeur a pour vous de l'estime,
Je vous mandais par lui, sans penser faire un crime,
Que j'étais toute à vous, votre homme un peu trop prompt,
M'en a baisé la main, et fait rougir le front,
C'est de cette façon que c'est passé la chose.
DON JAPHET.
Tout de bon? Mon courroux s'apaise par sa cause:
Donnez-moi cette main qu'il ne baisera plus,
Je veux la dévorer de mes baisers goulus.
Don Roc, regarde-moi promener cette Belle,
Aussi digne de moi que je suis digne d'elle.
Vous m'aimerez bien fort ?
LÉONORE.
Oui, je vous le promets
Autant que je le dois.
DON JAPHET.
Je n'en doutai jamais.