SCÈNE III. Philippe, Persée, Démétrius, Antigonus, Onomaste.
PERSÉE.
Seigneur, si je pouvais sans m'en rendre complice...
PHILIPPE.
Prenez place tous deux, je vous ferai justice.
Voici le jour fatal où le ciel contre nous
Semble avoir réservé son plus âpre courroux.
La plainte ouverte enfin succédant au murmure
À la pleine révolte enhardit la nature,
J'en vois les droits partout honteusement trahis,
Il m'en faut être Juge, et c'est entre mes fils.
père trop malheureux qui, quoi que je me cache,
D'un crime dans mon sang ne saurais fuir la tache !
Un frère accuse l'autre, et le crime est douteux,
Mais l'effet m'en doit être également honteux.
Qu'il soit faux, qu'il soit vrai, la haine qui les guide
En fait pour moi toujours un lâche parricide.
Ou l'un d'eux aujourd'hui cherche à l'exécuter,
Ou l'autre le commet en l'osant inventer,
Et ma gloire ne peut qu'elle ne soit ternie,
Ou par son attentat, ou par sa calomnie.
Voilà ce que j'ai craint de ces dissensions
Dont l'aigreur soutenait toutes vos actions ;
Mais comme il en est peu que le temps n'adoucisse,
J'ai cru qu'au sang enfin vous rendriez justice,
Et qu'après les avis que je vous ai donnés,
Vous n'oublieriez jamais ce que vous êtes nés.
Combien de fois, hélas ! Vous ai-je fait comprendre
Quels biens de la concorde on a sujet d'attendre ?
C'est par là que deux Rois avecque tant d'éclat
De Sparte si longtemps ont gouverné l'État,
Que d'un zèle pareil la conduite admirable
À ses plus fiers Voisins l'a rendu redoutable,
Et que ce même État n'a pu se maintenir
Dès que l'ambition a su les désunir.
Combien ai-je tâché de prévenir vos haines
Par l'exemple fameux et d'Attale et d'Euménès,
Que la concorde seule, où tous deux je les vois,
A faits aussi puissants qu'Antiochus, ou moi !
Honteux du nom de Rois qu'à peine ils voulaient prendre,
Ils ont droit aujourd'hui d'oser tout entreprendre ;
Et s'il faut mêler Rome aux autres Nations,
Voyez les Quintius, voyez les Scipions.
Dans l'éclat immortel qui suivra leur mémoire
De leur noble union voyez briller la gloire ;
Au lieu que des forfaits la plus pressante horreur
Toujours de la discorde a suivi la fureur.
Ni le crime des uns, ni la vertu des autres
Sur les grands sentiments n'ont pu régler les vôtres.
D'une coupable ardeur l'indigne emportement
Vous fait de votre rage aimer l'aveuglement.
Vous voulez que je vive, et souffrez que je règne
Tant que vous n'ayez plus d'obstacle qu'elle craigne,
Et que par l'attentat l'un de l'autre défait
Puisse en m'ôtant le jour jouir de son forfait.
Il n'est droit si sacré que votre orgueil révère,
Vous haïssez les noms et de père, et de frère,
Et du sang à l'envi brisant les plus doux noeuds,
Le trône est le Dieu seul qui mérite vos voeux.
Sus donc, immolez-lui de si chères victimes,
Et me faites trembler par l'horreur de vos crimes.
Attendant que le fer en règle les effets
Faites en ma présence un combat de forfaits.
Dites tout ce que peut, pour trahir la Nature,
Ou résoudre la rage, ou forger l'imposture,
J'écoute ; et je crains bien pour reproche éternel
De n'avoir à juger que du moins criminel.
PERSÉE.
Seigneur, j'ai dû sans doute abandonner ma tête
À l'éclat imprévu d'une affreuse tempête,
Puisque les attentats dont encor je frémis
Ne sauraient être crus s'ils n'ont été commis.
Ce n'est pas sans raison qu'un Peuple téméraire
Ne veut pour votre fils connaître que mon frère.
Si chez vous comme lui j'en obtenais le rang,
Vous trembleriez d'ouïr qu'on veut verser mon sang,
Et ne voudriez pas qu'un reproche semblable
Confondit l'Innocent avecque le Coupable.
Ayant à craindre tout, si sans rien découvrir
Vous voulez que je meure, et bien, il faut mourir,
J'y consens, et je croirai mon sort digne d'envie
Si ma mort avancée assure votre vie,
Et si l'indigne ardeur de ses transports jaloux
Peut s'étendre en mon sang sans aller jusqu'à vous ;
Mais si dans ce péril la plainte m'est permise,
Voyez-le contre moi s'armer avec surprise,
Et l'éclat de sa haine osant tout aujourd'hui,
Souffrez pour l'arrêter que je m'adresse à lui.
Qu'espérez-vous, mon frère, et sur quelles maximes
Courez-vous en aveugle au plus affreux des crimes ?
Dans l'orgueil de compter tant de Rois pour aïeux,
L'avidité du trône entraîne tous vos voeux,
Comme eux il faut régner, et cette noble envie
Pour remplir tout leur sort veut se voir assouvie ;
Mais si ce que je suis tient le vôtre borné
Prenez-vous-en aux Dieux qui m'ont fait votre aîné.
L'usage ici reçu, le jugement d'un père
Pour régner après lui veulent qu'on me préfère,
Note: v. 543 : le texte original comporte "réprendre", nous choisissons de transcrire "répandre" plutôt que "reprendre".Et votre bras armé pour répandre mon sang
Vous peut seul donner droit de monter à son rang.
Le Ciel dont l'équité sur nos desseins préside
N'a pu souffrir encor un si noir parricide.
Hier dans ce faux combat que j'osai hasarder
Pour éviter ma perte il m'apprit à céder.
C'est lui qui s'opposant à l'espoir qui vous reste
Me fit fuir un festin qui m'eût été funeste,
Et le crime partout noircissant votre foi,
J'aurais dû cette nuit vous recevoir chez moi ?
Seigneur, sans mes refus nés d'une juste crainte,
Vous pleureriez ma mort où vous oyez ma plainte,
Et ce qu'entre deux fils vous avez à juger,
Ne vous aurait laissé que ma perte à venger.
Détestez maintenant l'ardeur insatiable
Où la soif de régner plonge une âme coupable,
Mais en la détestant daignez vous souvenir
Que vous avez à plaindre aussi bien qu'à punir.
Que celui dont la rage aspire à perdre un frère
Sente à jamais des Dieux l'implacable colère,
Mais qu'au moins l'opprimé, pour s'en mettre à couvert,
Dans l'appui de son Roi trouve un asile ouvert.
Contre la trahison c'est le seul que j'espère,
Je n'ai pour m'en sauver que les Dieux et mon père,
S'il me faut fuir ici de secrets attentats,
Je n'ai point de Romains qui me tendent les bras.
Leur haine de ma mort se fait un heur suprême
Parce que je soutiens l'honneur du Diadème,
Et ne leur laisse voir aucuns moyens offerts
De mettre, moi vivant, la Macédoine aux fers.
La plainte cependant, le murmure, l'outrage,
Sont le prix d'affranchir vos Sujets d'esclavage.
Vous l'avez vu, Seigneur, dans ces lâches Soldats
Qui hier même à vos yeux cherchèrent mon trépas.
Que dirai-je des Grands dont la molle faiblesse
À flatter les Romains à l'envi s'intéresse,
Et qui sur un espoir et vil et hasardeux
N'adorent que celui qui peut tout auprès d'eux ?
Ce n'est pas à moi seul qu'il voit qu'on le préfère,
Il l'emporte en secret sur son Roi, sur son père.
C'est lui qui dans l'orage où vous étiez compris
Des foudres du Sénat sauva vos cheveux gris.
Si vos Peuples sans guerre ont la douceur de vivre,
Des armes des Romains c'est lui qui les délivre,
Et tandis qu'en vous seul je fonde mon appui,
Vos Peuples, les Romains tout enfin est pour lui.
À quoi présumez-vous que Quintius aspire
Par tout ce qu'il se plaît sans cesse à vous écrire,
Quand pour entretenir l'amitié du Sénat
Il vous fait envoyer les Premiers de l'État ?
Démétrius a part à cette Politique,
Ses conseils sont sa règle en tout ce qu'il pratique,
Et dans ces Envoyés qu'ils ont l'art de gagner,
Ils cherchent du secours pour le faire régner.
Ceux qu'un pur intérêt, ceux qu'un vrai zèle y mène
N'en reviennent jamais qu'avec l'âme Romaine,
Le seul Démétrius est maître de leur foi,
Et déjà, vous régnant, ils l'appellent leur Roi.
Si l'indignation m'arrache quelque plainte,
De l'ardeur de régner j'ai soudain l'âme atteinte,
Chacun veut que ce crime ait pour moi des appas,
Et vous-même, Seigneur, ne m'en exemptez pas.
Mais à quoi cette ardeur et basse et criminelle,
Puisqu'au trône après vous ma naissance m'appelle ?
Vouloir pour y monter confondre tous les droits,
Renverser la Nature, anéantir les Lois,
Se faire une vertu d'un frère qu'on opprime ;
C'est là, Seigneur, c'est là ce qui s'appelle crime,
Et j'atteste les Dieux, si j'en prends quelque effroi,
Que je le crains pour vous beaucoup plus que pour moi.
Négligez ce péril où ma vie est réduite,
Détournez-en les yeux, mais voyez-en la suite,
Et songez, qu'où du sang on a brisé les noeuds,
Qui fait un parricide en peut commettre deux.
DÉMÉTRIUS.
Si je parais surpris, Seigneur, j'ai pour excuse
Et le genre du crime, et celui qui m'accuse.
Pour m'ôter tous moyens de vaincre mon malheur,
Il veut auprès de vous corrompre ma douleur,
Et de ses feints soupirs l'injurieuse amorce
Tâche en la prévenant d'en détruire la force.
Sur vous d'un faux péril il fait tomber l'effroi,
Pour faire agir par vous sa rage contre moi.
Quoi que fort du secours de ma seule innocence,
Pour moi du Monde entier il arme la puissance.
Et d'asiles partout il aime à se priver,
Pour empêcher qu'en vous je n'en puisse trouver.
Dieux, qu'il prend pour témoins des motifs de sa crainte,
Aidez ceux qu'il abuse à pénétrer leur feinte,
Et puisqu'à m'en purger je me trouve réduit,
Éclairez ce grand crime où j'ai choisi la nuit.
Il l'expose à vos yeux l'âme encor toute émue,
Comme s'il ne formait qu'une plainte imprévue,
Et que ces noirs complots dont il souille ma foi
Ne fussent pas des traits préparés contre moi.
Prince, si dès longtemps formant brigues sur brigues,
Je fais contre l'État de criminelles ligues,
Il fallait m'accuser de cette trahison
Avant qu'elle employât le fer et le poison.
Déjà pour m'en punir j'étais assez coupable
Sans que de cette nuit on y joignît la fable,
Mais pour mieux voir quel fruit j'en pourrais espérer,
Vous voulez tout confondre, il faut tout séparer.
Le grand titre d'aîné, le jugement d'un père,
Le droit des Nations, tout veut qu'on vous préfère,
Et pour en démentir l'aveugle choix du Sort,
Ma lâche ambition a juré votre mort.
Pourquoi donc m'imputer la coupable espérance
Dont l'appui des Romains flatte mon arrogance ?
Si jusqu'à faire un Roi vous portez leur crédit,
Qu'est-il besoin de crime où leur secours suffit ?
Est-ce afin que le trône ait plus de quoi me plaire,
Si j'en vois les degrés teints du sang de mon frère ?
Est-ce afin qu'auprès d'eux ce noir crime commis
M'ôte ce peu d'estime où la vertu m'a mis ?
Quintius qu'on me voit prendre partout pour guide,
M'aura-t-il conseillé cet affreux parricide,
Lui qui chérit son frère, et laisse à nos neveux
De l'union parfaite un exemple fameux ?
Pour m'élever au trône où mon orgueil aspire,
Vous voulez qu'à l'envi tout le monde conspire,
Et comme sans appui, pour unique recours,
Vous me faites du crime emprunter le secours.
Voyons-le tel qu'il est, où qu'on le fait paraître,
Ce crime qu'entre nous un père doit connaître.
On divise l'Armée, et d'une égale ardeur
Nous disputant le prix qu'on destine au Vainqueur.
Tous deux Chefs de parti nous cherchons la victoire,
Et quand sur vous enfin j'en emporte la gloire,
Ma haine, dites-vous, si l'on ne m'eût cédé,
Par un combat sanglant en aurait décidé.
Quelle plainte, grands Dieux, et qu'elle a de faiblesse !
Vous fûtes le témoin de ce combat d'adresse,
Seigneur, et vous savez ce qu'on me vit tenter,
Qui marque la fureur qu'il ose m'imputer ;
Mais la sienne, qu'anime une haine implacable,
Ne veut rien épargner pour me rendre coupable.
Dans la fête qu'ensuite on me voit ordonner
Je l'invite au festin, c'est pour l'empoisonner.
Sans nommer les témoins d'une trame si noire,
J'en suis trop convaincu parce qu'il la veut croire.
Le fer enfin succède, on me fait tout oser.
Prince, m'accuser trop, ce n'est pas m'accuser.
Pour rendre contre moi vos plaintes légitimes,
Un seul jour me pouvait amasser moins de crimes
Je vais chez vous de nuit, et l'on doit soupçonner
Que j'y vais seulement pour vous assassiner ?
Puisque de ce forfait vous avez des indices,
J'étais accompagné, je livre mes Complices,
Qu'ils viennent, et par eux faites connaître à tous
L'ordre d'un attentat qu'ils apprendront de vous.
Mais que sert contre moi d'inventer cette fable ?
De tant de crimes faux passons au véritable.
Que ne me dites-vous, puisqu'il faut l'exprimer,
Pourquoi, Démétrius, t'es-tu fait estimer ?
Pourquoi de ta vertu la Macédoine éprise
Me voit-elle à regret une Couronne acquise,
Et quand de ma conduite on la voit s'indigner,
Pourquoi lui parais-tu plus digne de régner ?
Quelques déguisements qui cachent sa pensée,
C'est là, Seigneur, c'est là ce qui blesse Persée,
Et l'on s'empresserait bien moins à me trahir,
Si par mes lâchetés je me faisais haïr ;
Mais comme avec le sang la vertu m'intéresse
À lui céder un trône acquis au droit d'Aînesse,
Ce même sang m'apprend à me montrer jaloux
De mériter l'honneur d'être sorti de vous.
Quant aux Romains, Seigneur, dont il veut prendre ombrage,
M'a-t-on vu demander à leur servir d'Otage.
Et si vers le Sénat vous m'avez député,
Ai-je de cet emploi brigué la dignité ?
Dans l'un et l'autre temps ma foi toujours sincère
N'a choisi pour objet que la gloire d'un père,
Et par vos ordres seuls ayant pris droit d'agir,
Ni pour vous ni pour moi je n'ai point à rougir.
Tant qu'avec eux la paix nous défendra les armes
Leur alliance offerte aura pour nous des charmes,
Mais si vous en rompez le noeud mal affermi
Ils trouveront en moi leur plus fier Ennemi.
De leur protection il n'est rien que j'attende ;
Qu'ils ne me nuisent point, c'est ce que je demande,
Et qu'un frère trop prompt à soupçonner ma foi
Ne prenne point chez eux des armes contre moi.
Si vous me condamniez, quelle que fût l'offense,
Ce serait à lui seul à prendre ma défense,
Et c'est lui que je vois sur de faux attentats
Vouloir vous arracher l'arrêt de mon trépas.
Appelé sans savoir que j'eusse à me défendre,
Je n'ai pour y songer que le temps de l'entendre,
Tandis qu'à me noircir, et qu'à me déchirer
Sa haine industrieuse a su se préparer.
Hélas ! Dans ce malheur où serait mon refuge,
Si tout autre que vous devait être mon Juge ?
Contre un frère cruel qui veut trancher mes jours,
C'est un fils qui d'un père implore le secours.
Dans l'excès où sa rage a pu déjà paraître,
Que n'en craindrai-je point quand il sera mon Maître,
Et que sert qu'aujourd'hui l'on m'ose secourir,
Si par lui tôt ou tard j'ai toujours à périr ?
PERSÉE.
Seigneur, si ce qu'il craint...
PHILIPPE.
Bornez-là votre plainte,
L'aigreur qui la soutient autorise sa crainte,
Et trop de pente à prendre un esprit soupçonneux
Éblouit votre haine, et vous trompe tous deux.
J'ai compris les raisons et de l'un et de l'autre,
Sans prendre son parti, ni m'attacher au vôtre,
Et comme entre deux fils j'aime à me partager,
C'est sur l'avenir seul que je prétends juger.
Vivez, et s'il se peut, qu'une amitié sincère
Du sang qui vous unit marque le caractère,
Et par ses plus doux noeuds épargne à mon courroux
La douleur de chercher un coupable entre vous.
La Nature l'ordonne, et je vous le demande.
DÉMÉTRIUS.
Vous plaire est le seul bien, Seigneur, où je prétende,
Et de cette union le charme m'est si doux
Que j'aurais fait pour moi ce que j'ai fait pour vous.
PHILIPPE.
L'assurance m'en plaît, mais pour l'avoir entière,
Contre vous à l'envie ôtons toute matière.
Étouffons un soupçon qui dans tous vos desseins
Vous fait d'intelligence avecque les Romains.
De ces Tyrans des Rois la fière Politique
Fait révolter Didas contre leur République,
Épousez-en la fille, et pour vous et pour moi
Faites leur Ennemi garant de votre Foi.
DÉMÉTRIUS.
Je vous l'ai déjà dit, Seigneur, lorsque la paix rompue...
PHILIPPE.
Faut-il vous l'ordonner de puissance absolue ?
Ne me résistez point ; au Prince, au Peuple, à tous,
Cet hymen seul a droit de répondre de vous.
Votre gloire sans lui par le crime est flétrie,
Je vous vois lâchement trahir votre Patrie,
Et par le sang d'un frère acheter des Romains
Les fers injurieux où vous tendez les mains.
PERSÉE.
Daignez moins exiger de la foi qu'il vous jure.
Pour lui de cet hymen la contrainte est trop dure,
Seigneur, et vous devez par des ordres plus doux
Essayer le respect qu'il veut avoir pour vous.
DÉMÉTRIUS.
J'aurais peut-être lieu d'admirer par quel zèle
Qui veut me voir périr craint de me voir rebelle ;
Mais pour mes intérêts cessez de vous trahir,
Un père a commandé, je ne sais qu'obéir.
PHILIPPE.
Puissé-je ainsi revoir le calme en ma Famille.
SCÈNE V. Démétrius, Didas.
DIDAS.
Seigneur, sans trop d'orgueil puis-je croire le Roi,
Et se peut-il qu'un Prince et grand et magnanime
Pour le sang d'un Sujet conçoive tant d'estime,
Que d'un choix où jamais il n'aurait prétendu...
DÉMÉTRIUS.
Obéissant au Roi, j'ai fait ce que j'ai dû ;
Mais je crois qu'imitant cet effort pour un autre,
Si j'ai fait mon devoir, vous songerez au vôtre,
Et n'en croirez pas tant des voeux trop élevés,
Qu'on vous voie oublier ce que vous me devez.
DIDAS.
Le respect qui pour vous accompagne mon zèle
Ne marquera jamais une âme plus fidèle,
Et je sais trop, Seigneur, ce que vous doit ma foi...
DÉMÉTRIUS.
Puisque vous le savez, allez trouver le Roi,
Et m'épargnant l'éclat où je sais qu'on aspire,
Sauvez-moi de l'hymen qu'on lui fait me prescrire.
Je vois d'où m'en vient l'ordre, et qu'un frère jaloux
Prétend par mes refus accroître son courroux.
Sachant que j'aime ailleurs, par cette loi cruelle
Il a cru me contraindre à me montrer rebelle,
Mais j'ai lieu d'espérer que de sa haine instruit
Vous ne souffrirez pas qu'il en cueille le fruit.
Rompez donc un Accord dont l'amour qui m'engage
Par estime pour vous ne veut pas voir l'outrage,
Et respectant les traits dont mon coeur est blessé,
Chargez-vous d'un refus où je serais forcé.
DIDAS.
Quelque honneur où le Roi m'autorise à prétendre,
Vous pouvez arrêtez l'espoir qu'il m'en fait prendre ;
Mais vouloir qu'affectant un refus criminel
Moi-même...
DÉMÉTRIUS.
Je vous plains d'un effort si cruel,
Mais il faut empêcher que l'on ne vous soupçonne
D'avoir eu quelque part à l'ordre qu'on me donne,
Et si vous m'en croyez, vous obtiendrez du Roi
Qu'il me laisse à mon choix disposer de ma foi.
DIDAS.
Le Roi sait ce qu'il fait, et s'il cherche ma gloire,
Croyez, Seigneur...
DÉMÉTRIUS.
Laissons ce que j'ai lieu de croire,
S'il vous fait malgré vous prendre un espoir trop haut,
Détournez-en l'effet, je croirai ce qu'il faut.
DIDAS.
Seigneur, vous pourriez mieux...
DÉMÉTRIUS.
Oui, je pourrais lui dire
Que s'il songe au néant dont sa faveur vous tire,
Il saura qu'à sa gloire il est injurieux
D'unir un sang trop bas au plus pur sang des Dieux ;
Qu'un Roi, quoique jaloux d'élever ce qu'il aime,
Doit à sa dignité beaucoup plus qu'à soi-même,
Et qu'il faut préférer dans le moindre projet
La majesté du trône à l'orgueil d'un Sujet.
Pour lui faire éviter la honte qu'il se cache,
Ou par vous ou par moi c'est ce qu'il faut qu'il sache,
Mais l'aigreur de l'avis ne regardant que vous,
Vous saurez le donner en des termes plus doux,
Et pour vos intérêts ma patience extrême
Veut bien pour l'expliquer s'en remettre à vous-même
Si c'est vous dire trop, accusez-en des voeux
Dont l'audace me force à plus que je ne veux.
DIDAS.
Dans le peu que je suis, du moins...
DÉMÉTRIUS.
Brisons, de grâce
Malgré mes Envieux je sais ce qui se passe,
Et qu'après cette plainte où le sang m'a trahi,
L'on devait m'arrêter si je n'eusse obéi.
C'était pour m'y contraindre une méchante voie
Si je n'eusse à mon frère envié cette joie ;
Mais si votre insolence à me persécuter
Sur ce honteux hymen me force d'éclater,
Malgré tout ce que peut l'injuste appui d'un père,
Peut-être aurez-vous lieu de craindre ma colère.
C'est à vous d'y penser.
DIDAS.
Vous serez satisfait,
Seigneur, et cet hymen n'aura jamais d'effet.