SCÈNE III. Mercure, en habit et visage de Sosie, Sosie.
MERCURE.
Inspiré de mon père à qui tout est connu,
Représentons celui que je suis devenu.
Le voici, qui rêveur, sa harangue étudie.
SOSIE.
Mais consultons un peu ce qu'il faut que je die,
Car, je fuyais plus fort, au plus fort du combat,
Et de frayeur encor, le coeur au sein me bat.
Plus leurs bras s'employaient, à ce sanglant office,
Plus mes jambes aussi, se donnaient d'exercice,
Je mesurais mes pas, à l'ardeur de leurs coups.
Et la peur m'animait, autant qu'eux le courroux.
MERCURE.
Ce menteur éternel, à soi seul imitable,
Une fois pour le moins se trouve véritable.
SOSIE.
N'omettons rien pourtant, dont on puisse juger,
Que j'aie été présent, au plus pressant danger,
Et ce que je n'ai vu, que par les yeux des autres,
Jurons impudemment, de le tenir des nôtres.
Avisons-en nous-même, à parler à propos.
Je ferai mon récit, à peu près, en ces mots.
Madame, Amphitryon (arrivés que nous sommes)
Entre les principaux, a fait choix de deux hommes,
Gens de coeur, et zélés sur tous les Citoyens,
Pour envoyer d'abord, vers les Téléboyens ;
Tous deux, partent du Camp, avec ordre d'apprendre,
Note: Ptérèle : Roi des Taphiens, père de Cymethon.Si Ptérèle prétend, ou se perdre, ou se rendre,
S'il veut par son devoir se procurer la paix :
Ou s'il veut, que du bruit, nous passions aux effets.
Mais en lui, ces hérauts trouvent une âme altière,
Qui de notre fureur augmente la matière.
D'une audace effrontée, il repart aigrement,
Qu'il trouvera sa paix, en notre monument,
Qu'il a depuis longtemps, appris de son courage,
À ne s'effrayer pas d'un si léger orage,
Et que ses gens, et lui, vieillis dans les hasards,
Verraient sans peur le foudre, aux mains même de Mars.
Mon maître, à ce rapport, fait sortir notre armée,
D'un funeste flambeau la guerre est allumée,
Les drapeaux déployés, chacun marche en son rang
Et ne respire plus, que carnage, et que sang ;
L'ennemi d'autre part, en superbe équipage,
L'impatience aux mains, et l'audace au visage,
Sort l'enclos de sa ville, et par un vain orgueil,
Semble sur ces remparts marquer notre cercueil,
D'un, et d'autre côté les trompettes résonnent,
La terre d'alentour rend les airs qu'elles sonnent,
À ce bruit éclatant, le coeur croît aux soldats,
Et cette noble ardeur leur fait croître le pas,
Les Chefs, des deux partis, après quelques prières,
Par qui chacun se croit rendre les Dieux prospères,
Sollicitent leurs gens, et marchent à la fois,
Mais font mieux par l'exemple, encor que par la voix.
Alors, tout ce qu'on a d'adresse, et de courage,
En ce pressant besoin, on le met en usage,
L'effet de la promesse, en l'ouvrage se voit,
Le sang dérobe au fer la lueur qu'il avait,
Il tombe par ruisseaux, il coule à chaque atteinte,
L'herbe en prend la couleur, et la terre en est teinte,
Chaque arme, à chaque choc, produit autant d'éclairs,
Le bruit en retentit dans le milieu des airs,
Et cet humide lieu, non sans raison s'étonne,
Que hors de son espace, il pleuve, éclaire et tonne ;
La victoire à la fin se déclare pour nous,
Il tombe autant de corps, que nous portons de coups,
Le mort, et le mourant, pêle-mêle s'entasse,
Mais, leur trépas est beau, chacun meurt en sa place,
L'ordre est en ce désordre, et de ces nobles coeurs,
Le courage Héroïque étonne les Vainqueurs.
Avec nous leur vertu, leur partage la gloire,
Mais la force, et le sort nous donnent la victoire ;
Nos efforts sont suivis, d'un prospère succès,
Et notre joie alors, va jusques à l'excès.
MERCURE.
Certes, la vérité, (hors de ce qui le touche)
Sort nûment, et sans art, de sa profane bouche,
Car nous vîmes du Ciel, les deux camps se heurter,
Mon père y mit la main.
SOSIE.
J'oubliais d'ajouter,
Que le plus noble exploit qui finit la querelle,
Fut celui de mon Maître, en la mort de Ptérèle,
Sa main, rouge du Sang, de ce superbe Roi,
Remplit ce qui resta de terreur et d'effroi,
L'espoir abandonna ces Généreuses âmes,
Et lors, nos Gens sans peine achevèrent leurs trames,
Enfin, ce grand combat, finit avec le jour ;
Mais jamais le Soleil ne fit un si long tour ;
Quelque heureux qu'il nous fut, il me fut une année,
Car je ne mangeai point, de toute la journée,
Je fus du rang des morts, et la faim en effet,
Me fit autant mourir, que le fer aurait fait.
En ces mots, à peu près, je ferai ma harangue,
Certes, je n'osais, tant espérer de ma langue,
Elle a fait son devoir, en cette occasion,
Et n'a rien entrepris à ma confusion.
Marchons donc, je m'amuse, et ma charge me presse,
D'aller de ce récit, réjouir ma Maîtresse.
MERCURE.
Prenons de sa figure, et de son propre nom,
Le droit de le chasser de sa propre maison :
Mettons, feintes, serments, et malice en usage,
Représentons ses moeurs, ainsi que son visage ;
Battons-le de ses traits : mais pourquoi dans les cieux,
D'un si fixe regard attache-t-il ses yeux ?
SOSIE, regardant le Ciel.
Par quelle ivrognerie, ou quel plaisant caprice,
A, le Dieu de la nuit, oublié son office ?
Il semble que ces feux cloués au firmament,
Contre leur naturel n'aient plus de mouvement,
Je ne vois dévaler dans leurs grottes liquides,
Orion, ni Vesper, ni les Sept Atlantides :
La Lune semble fixe, et jamais le Soleil
Si leur cours est si lent, ne rompra son sommeil :
MERCURE.
Achève, heureuse nuit, d'obéir à mon père,
Et de longtemps encor, ne finis ta carrière.
SOSIE.
Amants, que cette nuit vous veut favoriser.
MERCURE.
Mon père en fait l'épreuve, et sait bien en user.
SOSIE.
Autre ne fut jamais de si longue durée,
Qu'une, où de mille coups, j'eus la peau déchirée,
Où cent valets sur moi, se lassèrent les bras ;
La Lune, pour me voir arrêta court ses pas,
De vrai, cette première, était plus longue encore,
Et je désespérais du retour de l'Aurore.
J'arrive, enfin chez nous, entrons, nous y voici :
Mais, à l'heure qu'il est, que fait cet homme ici ?
MERCURE.
Il est poltron, au point, où plus on le peut être.
SOSIE.
Je crains bien, pour ma bourse un changement de maître.
MERCURE.
Il tremble.
SOSIE.
Et je conçois, du bruit que font mes dents,
Un présage assuré de mauvais accidents.
Cet homme officieux, s'étonnant que je veille,
Quand si profondément, tout le monde sommeille,
Soigneux de mon repos, plus qu'il n'en est besoin,
Me va faire dormir, sans doute, à coups de poing.
Combien de ce repos, la crainte me travaille,
Dieux ! Quel homme voilà, quel port, et quelle taille !
MERCURE.
Pour accroître sa peur, menaçons, parlons haut,
Sus mes poings, donnez-moi le repas qu'il me faut ;
Faites un compagnon de sort, et de disgrâce,
Aux quatre hommes, qu'hier, j'assommai sur la place,
Ils surent, qu'au besoin, vous êtes bons et lourds.
SOSIE.
Je ferai le cinquième ! Ô malheur de mes jours !
MERCURE.
De votre premier coup, ne laissez dents en bouche.
SOSIE.
Hé ! De quoi donc manger ? Je suis mort, s'il me touche.
MERCURE.
Voici de la matière, à votre noble ardeur,
Je sens ici quelqu'un.
SOSIE.
Ô la funeste odeur !
MERCURE.
Il ne peut être loin, et vient de long voyage.
SOSIE.
Cet assommeur devine.
MERCURE.
Il approche, courage.
SOSIE.
Si tu me dois toucher, contre ce mur, au moins,
Par gloire, ou par pitié, daigne amollir tes poings.
MERCURE.
Chargeons-le d'importance.
SOSIE.
Hé ! Je suis las de sorte,
Que sans charge moi-même, à peine je me porte !
MERCURE.
Mais, où ce malheureux détourne-t-il ses pas ?
SOSIE.
Quel serait mon bonheur, s'il ne me voyait pas ?
MERCURE.
Sa voix, ou je m'abuse, a frappé mon oreille.
SOSIE.
Et sa main, va frapper la mienne, à la pareille.
MERCURE.
Il vient, je l'aperçois.
SOSIE.
J'ignore qui je suis,
En l'état malheureux, où mes jours sont réduits ;
De peur, le poil me dresse, et tout le corps me tremble ;
Mon ambassade, et moi, sommes péris ensemble.
Mais ta vertu, Sosie, au besoin se dément
Il est seul, comme toi, parle-lui hardiment.
MERCURE.
Toi, qui portes Vulcain, en cette corne esclave.
SOSIE.
Mais toi, qui brises tout, et qui fais tant du brave.
MERCURE.
Où s'adressent tes pas ?
SOSIE.
Que t'importe ! Où je veux.
MERCURE.
Es tu libre, ou captif ?
SOSIE.
Oui.
MERCURE.
Mais lequel des deux ?
SOSIE.
Lequel des deux me plaît, ou tous les deux ensemble.
MERCURE.
Ce maraud veut périr.
SOSIE.
Tel menace, qui tremble.
MERCURE.
Mais, qui (de grâce) es-tu ? Qui t'amène en ce lieu ?
SOSIE.
J'appartiens à mon Maître, es-tu content ? Adieu.
MERCURE.
J'arracherai, pendard cette langue effrontée :
SOSIE.
Ses remparts sont trop bons, pour s'y voir affrontée.
MERCURE.
Poltron, répliques-tu ? Que viens-tu faire ici ?
SOSIE.
Mais que cherches-tu, toi qui t'en mets en souci ?
MERCURE.
Créon, y fait veiller les gardes de la ville.
SOSIE.
Oui, mais notre retour rend ce soin inutile.
Va, laisse cette charge, aux gens d'Amphitryon.
MERCURE.
Ami, qui que tu sois, ou domestique, ou non.
SOSIE.
Eh bien ?
MERCURE.
Fuis tôt, et perds cette humeur suffisante,
Ou ta réception ne sera pas plaisante.
SOSIE.
Je fuis de ce logis ; c'est où tendent mes pas,
Et tous tes vains discours, ne m'en chasseront pas.
MERCURE.
Je te vais rendre vain, sais-tu de quelle sorte ?
En ne te chassant pas, mais faisant qu'on t'emporte ;
Ça mes poings, travaillons.
SOSIE.
Mais pour quelle raison,
Me met un étranger, hors de notre maison ?
Quel droit y prétend-il ?
MERCURE.
Hors de ta maison traître !
SOSIE.
Oui, puisque j'y demeure, et qu'elle est à mon Maître.
MERCURE.
Quel maître ?
SOSIE.
Amphitryon, Chef du Peuple Thébain,
Qui chargé de lauriers, arrivera demain.
MERCURE.
Et, ton nom, imposteur ?
SOSIE.
On m'appelle Sosie.
MERCURE.
Ô Dieux ! Quelle impudence, ou quelle frénésie !
SOSIE.
Je ne m'abuse point, je parle sainement.
MERCURE.
L'imposteur, l'effronté, de quelle audace il ment !
On t'appelle.
SOSIE.
Sosie.
MERCURE.
Note: Dam : en langage ordinaire, signifiait autrefois, perte et dommage, et n'est plus en usage qu'en cette phrase : s'il lui arrive du mal, à son dam, pour dire, ce sera lui qui en souffrira le dommage. [F]À ton dam, misérable,
Tu viens si prestement, de forger cette fable ;
De cette invention cent coups seront le prix.
Il le bat.
SOSIE.
Au secours, aux voleurs, tout est sourd à mes cris.
MERCURE.
Au mensonge, pendard, tu joins encor la plainte ?
SOSIE.
Je ne t'ai point menti, je t'ai parlé sans feinte.
MERCURE.
Quoi Sosie est ton nom ?
SOSIE.
Je te l'ai dit, hélas !
MERCURE.
Sosie ?
SOSIE.
Et plût au Ciel, ne le fussé-je pas ?
MERCURE.
Mes poings, cent coups encor, pour cette menterie.
SOSIE.
Qui veux-tu que je sois, dis-moi, donc, je te prie ;
Épargne un malheureux.
MERCURE.
Dis ton nom, affronteur.
SOSIE.
Je suis ce qui te plaît, je suis ton serviteur,
Car tes coups m'ont fait tien.
MERCURE.
Ton audace est extrême,
Jusques à m'affronter, et prendre mon nom même ?
C'est moi, qui suis Sosie, et dans cette maison,
Jamais autre que moi, n'en a porté le nom.
Que viens-tu faire ici ?
SOSIE.
Chercher mon cimetière !
Et fournir à tes coups une indigne matière.
MERCURE.
Es-tu Sosie encor, réponds, qui l'est de nous ?
SOSIE.
Plût aux Dieux, le fût-il, et reçût-il les coups ?
MERCURE.
Approche, dis ton nom, parle, quel est ton maître ?
SOSIE.
Tu m'as mis en état, de ne me plus connaître.
À quelle déité s'adresseront mes voeux.
Mon Maître est.
MERCURE.
Qui ?
SOSIE.
Je suis.
MERCURE.
Quoi ?
SOSIE.
Rien, si tu ne veux.
MERCURE.
Que t'apporte mon nom ? Et quelle extravagance,
Te le fait usurper avec tant d'arrogance ?
SOSIE.
De grâce, permets-moi de parler librement,
Tu sauras qui je suis, en deux mots seulement.
MERCURE.
Oui parle, ma bonté t'accorde cette trêve.
SOSIE.
Amphitryon.
MERCURE.
Dis tôt.
SOSIE.
Sosie.
MERCURE.
Après achève.
SOSIE.
Sosie, Amphitryon.
MERCURE.
Que crains-tu, parle tôt.
SOSIE.
Faisons donc trêve aux coups, ou je ne dirai mot.
MERCURE.
Oui, je te la tiendrai.
SOSIE.
Je te crois, mais sur peine.
MERCURE.
Que Mercure, à jamais prenne Sosie en haine.
SOSIE.
Pour rompre son serment, il est trop généreux.
MERCURE.
Parle.
SOSIE.
Je suis Sosie.
MERCURE, le battant.
Encore, malheureux.
SOSIE.
Arrête, j'ai fait trêve, et ton serment te lie.
MERCURE.
Ces coups sont un remède à guérir ta folie,
Et ton mal je m'assure, est décru de moitié.
SOSIE.
Ô déplaisant remède, importune pitié !
Fais ce qui te plaira, mais cette violence,
Ne saurait plus longtemps, m'obliger au silence.
Ta fourbe peut bien être un obstacle à mes pas :
Mais toutes tes raisons ne me changeront pas.
Je n'emprunte le nom, ni la forme d'un autre,
Je suis le vrai Sosie, et ce logis est nôtre.
MERCURE.
Ô le fou ! L'insensé !
SOSIE.
Ce sont tes qualités.
Mon Maître Amphitryon, ses ennemis domptés,
Ne m'a-t-il pas du port, envoyé vers Alcmène
Lui conter du combat, la nouvelle certaine ?
N'en arrivai-je pas une lanterne en main ;
Voilà pas le Palais de ce Prince Thébain :
Ne te parlai-je pas ? Sais-je pas que je veille ?
Tes poings ne m'ont-ils pas étourdi cette oreille ?
Que n'opposai-je donc ma défense à tes coups ?
À quoi perds-je le temps, que n'entrai-je chez nous ?
MERCURE.
Dieux ! De quelles couleurs il sait peindre un mensonge ;
Dois-je croire mes sens, veillai-je, ou si je songe ?
Il dit de point en point, ce qui m'est arrivé ;
Car mon Maître en effet le combat achevé,
Et sa main de Ptérèle, ayant coupé la trame,
M'a du port Euboïque, envoyé vers sa femme,
Lui conter de nos faits l'heureux événement.
SOSIE.
Je ne me connais plus ! En cet étonnement,
Il me mettrait enfin aux termes de le croire ;
Quel présent lui fut fait, après cette victoire ?
MERCURE.
D'un vase précieux, où Ptérèle buvait.
SOSIE.
Il sait tout mieux que nous, sans doute il nous suivait.
MERCURE.
Que mon Maître aussitôt fit marquer de ses armes.
SOSIE.
Quelle lumière, ô Dieux dissipera ces charmes.
Il l'a déjà sur moi, par la force emporté,
Et la raison encor, semble de son côté.
Mais ma mémoire, enfin, a de quoi le confondre,
Et sans être moi-même, il n'y saurait répondre.
Lorsque plus vivement, choquaient les bataillons,
Qu'allas-tu faire seul, dedans nos pavillons ?
MERCURE.
D'un flacon de vin pur.
SOSIE.
Il entre dans la voie.
MERCURE.
Pris d'un muid frais percé, j'allai faire ma proie,
Hardi, je l'assaillis, et lui tirai du flanc,
Cette douce liqueur, qui tenait lieu de sang.
SOSIE.
Je suis sans repartie, après cette merveille,
S'il n'était par hasard caché dans la bouteille.
Il me ne reste plus, avec quoi contester.
MERCURE.
Eh bien, suis-je Sosie ? As-tu lieu d'en douter ?
T'ai-je assez bien guéri de cette frénésie ?
SOSIE.
Mais moi, qui suis-je donc ? Si je ne suis Sosie ?
MERCURE.
Prends ce nom, si tu veux, quand je l'aurai quitté,
Mais devant, défais-toi de cette vanité.
SOSIE.
Certes, à dire vrai, plus je le considère,
D'autant plus ma créance, à ma crainte défère ;
Il n'a proportion, couleur, marque, ni trait,
Que le miroir aussi ne marque en mon portrait ;
On ne peut qu'ajouter, à ce rapport extrême,
En un autre, aujourd'hui, je me trouve moi-même,
Démarche, taille, port, menton, barbe, cheveux,
Tout enfin est pareil, et plus que je ne veux ;
Mais cet étonnement fait-il que je m'ignore ?
Je me sens, je me vois, je suis moi-même encore ;
Et j'ai perdu l'esprit, si j'en suis en souci,
Ne l'interrogeons plus, entrons, qu'attends-je ici ?
MERCURE.
Traître, où vas-tu ?
SOSIE.
Chez nous.
MERCURE.
Ha ! C'est trop, le Ciel même,
Ne te pourrait soustraire à ma fureur extrême,
Tu t'obstines encor, à me persécuter !
SOSIE.
Comment de mon devoir puis-je donc m'acquitter,
Ne m'est-il pas permis, de dire à ma Maîtresse,
Ce qui m'est ordonné, par une charge expresse ?
MERCURE.
Oui, mais non à la mienne, ou de ce même seuil,
Où tu veux aborder, je ferai ton cercueil.
SOSIE, s'en allant.
Retirons-nous plutôt, ô prodige ! Ô nature !
Où me suis-je perdu ? Quelle est cette aventure ?
Qui croira ce miracle, aux mortels inconnu ?
Où me suis-je laissé ? Que suis-je devenu ?
Comment peut un seul homme, occuper double place ?
Moi-même, je me fuis, moi-même je me chasse,
Je porte tout ensemble, et je reçois les coups,
Je me vais éloigner, et je serai chez nous.
Quel est cet accident ? Retournons à mon Maître,
Et plût au Ciel aussi, qu'il me pût méconnaître
De cet heureux malheur, naîtrait ma liberté,
Et ce serait me perdre, avec utilité.