[]

MEMOIRE JUSTIFICATIF POUR SERVIR DE RÉPONSE À L'EXPOSÉ, &c. DE LA COUR de FRANCE.

M,DCC,LXXIX.

MEMOIRE JUSTIFICATIF pour ſervir de Réponſe à l'Expoſé, &c. de la Cour de FRANCE.

[1]

L'AMBITION d'une puiſſance, toujours ennemie du repos public, a obligé enfin le Roi de la Grande Bretagne à employer dans une guerre juſte et legitime ces forces que Dieu et ſon peuple lui ont confiées.—C'eſt en vain que la France eſſaye de juſtifier ou plutôt de deguiſer ſa politique aux yeux de l'Europe par ſon dernier Manifeſte, que l'orgueil et l'artifice ſemblent avoir dicté, mais qui ne peut ſe concilier avec la verité des faits, et les droits des nations. L'equité, la moderation, l'amour de la paix, qui ont toujours reglé les démarches du Roi, l'engagent maintenant à ſoumettre ſa conduite et celle de ſes ennemis au jugement du tribunal libre et reſpectable, qui prononce ſans crainte et ſans flatterie l'arrêt de l'Europe, du ſiecle preſent, et de la poſterité. Ce tribunal, compoſé des hommes eclairés et déſintereſſés de toutes les nations, ne s'arrete jamais aux profeſſions, et c'eſt par les actions des princes qu'il doit juger des motiſs de leurs procedés et des ſentimens de leur coeurs.

[2] Lorſque le Roi monta ſur le trône, il jouiſſoit du ſuccés de ſes armes dans les quatre parties du monde. Sa moderation retablit la tranquillité publique dans le même inſtant qu'il ſoutenoit avec fermeté la gloire de ſa couronne, et qu'il procuroit à ſes ſujets les avantages les plus ſolides. L'experience lui avoit fait connoitre combien les fruits de la victoire même ſont triſtes et amers; combien les guerres heureuſes ou malheureuſes epuiſent les peuples ſans aggrandir les princes. Ses actions prouvoient à l'univers, qu'il ſentoit tout le prix de la paix, et il etoit au moins à preſumer que la raiſon qui l'avoit eclairé ſur les malheurs inevitables de la guerre, et la dangereuſe vanité des conquêtes, lui inſpireroit la reſolution ſincére et inébranlable de maintenir la tranquillité publique, dont il etoit lui même l'auteur et le garant. Ces principes ont ſervi de baſe à la conduite invariable de ſa Majeſté pendant les quinze années qui ont ſuivi la paix conclue à Paris en 1763: epoque heureuſe de repos et de felicité, dont la memoire ſera longtems conſervée par le ſouvenir et peut-être par les regrets des nations de l'Europe.—Les inſtructions du Roi à tous ſes Miniſtres portoient l'empreinte de ſon caractere et de ſes maximes. Il leur recommandoit comme le plus important de leurs devoirs d'ecouter avec une attention ſcrupuleuſe les plaintes et les repreſentations des puiſſances, ſes alliés ou ſes voiſins; de prevenir, dans leur origine, tous les ſujets de querelle qui pourroient aigrir ou aliener les eſprits, de detourner le fléau de la guerre par tous les expediens compatibles avec la dignité du ſouverain d'une nation reſpectable, et d'inſpirer à tous les peuples une juſte confiance dans le ſyſteme politique d'une cour qui deteſtoit la [3] guerre ſans la craindre; qui n'employoit pour ſes moyens que la raiſon et la bonne foi, et qui n'avoit pour objet que la tranquillité generale. Au milieu de cette tranquillité les premieres etincelles de la diſcorde s'allumerent en Amerique. Les intrigues d'un petit nombre de chefs audacieux et criminels, qui abuſerent de la ſimplicité credule de leurs compatriotes, ſeduiſirent inſenſiblement la plus grande partie des Colonies Angloiſes à lever l'etendart de la revolte contre la mere patrie, à qui elles etoient redevables de leur exiſtence et de leur bonheur. La cour de Verſailles oublia ſans peine la foi des traités, les devoirs des alliés, et les droits des ſouverains, pour eſſayer de profiter des circonſtances qui paroiſſoient favorables à ſes deſſeins ambitieux. Elle ne rougit point d'avilir ſa dignité par les liaiſons ſecrettes qu'elle forma avec des ſujets rebelles, et après avoir epuiſé toutes les reſſources honteuſes de la perfidie et de la diſſimulation, elle oſa avouer à la face de l'Europe, indignée de ſa conduite, le Traité ſolemnel que les Miniſtres du Roi Très Chrêtien avoient ſigné avec les agens tenébreux des Colonies Angloiſes, qui ne fondoient leur independance pretendüe que ſur la hardieffe de leur revolte. La declaration offenſante que le Marquis de Noailles fut chargé de faire à la cour de Londres, le 13 Mars de l'année derniere, autoriſa ſa Majeſté à repouſſer par les armes l'inſulte inouie qu'on venoit d'offrir à l'honneur de ſa couronne; et le Roi n'oublia pas dans cette occaſion importante ce qu'il devoit à ſes ſujets et à lui-même. Le même eſprit de fauſſeté et d'ambition regnoit toujours dans les conſeils de la France. L'Eſpagne, qui s'eſt repentie plus d'une fois d'avoir negligé ſes vrais interêts pour ſervir aveuglement les projets deſtructeurs [4] de la branche ainée de la maiſon de Bourbon, fut engagée à changer le role de mediateur pour celui d'ennemi de la Grande Bretagne. Les calamités de la guerre ſe ſont multipliées, mais la cour de Verſailles ne doit pas juſqu'à preſent ſe vanter du ſuccés de ſes operations militaires; et l'Europe ſait apprecier ces victoires navales, qui n'exiſtent que dans les Gazettes et dans les Manifeſtes des vainqueurs pretendus.

Puiſque la guerre et la paix impoſent aux nations des devoirs entierement differens, et même oppoſés, il eſt indiſpenſable de diſtinguer ces deux etats dans le raiſonnement auſſi bien que dans la conduite; mais dans le dernier Manifeſte que la France vient de publier ces deux etats ſont perpetuellement confondus. Elle pretend juſtifier ſa conduite en faiſant valoir tour à tour et preſqu'au même inſtant ces droits qu'il n'eſt permis qu'à un ennemi de reclamer, et ces maximes qui reglent les obligations et les procedés de l'amitié nationale. L'addreſſe de la cour de Verſailles à brouiller ſans ceſſe deux ſuppoſitions qui n'ont rien de commun eſt la conſequence naturelle d'une politique fauſſe et inſidieuſe, incapable de ſoutenir la lumiere du grand jour. Les ſentimens et les démarches du Roi qui n'ont point à redouter l'examen le plus ſévere, l'invitent au contraire à diſtinguer clairement ce que ſes ennemis ont confondu avec tant d'artifice. Il n'appartient qu'à la juſtice de parler ſans crainte le langage de la raiſon et de la verité.

La pleine juſtification de ſa Majeſté et la condamnation indelibile de la France ſe reduit donc à la preuve de deux [5] propoſitions ſimples et preſqu' evidentes; premierement, Qu'une paix profonde, permanente, et, de la part de l'Angleterre, ſincere et veritable, ſubſiſtoit entre les deux nations, lorſque la France forma des liaiſons d'abord ſecrettes, et enſuite publiques et avouées, avec les Colonies revoltées de l'Amerique: Secondement, Que ſuivant les maximes les mieux reconnues du droit des gens, et ſelon la tencur même des Traités actuellement ſubſiſtans entre les deux couronnes, ces liaiſons pouvoient etre regardées comme une infraction de la paix, et que l'aveu public de ces liaiſons equivaloit à une declaration de guerre de la part du Roi Très Chrêtien. C'eſt peutêtre la premiere fois qu'une nation reſpectable ait eu beſoin de prouver deux verités auſſi inconteſtables, et la juſtice de la cauſe du Roi eſt deja reconnue par tous les hommes qui jugent ſans interêt et ſans prevention.

‘Lorſque la Providence appella le Roi au trône la France jouiſſoit de la paix la plus profonde.’ Telles ſont les expreſſions du dernier Manifeſte de la cour de Verſailles, qui reconnoit ſans peine les aſſurances ſolemnelles d'une amitié ſincere et des diſpoſitions les plus pacifiques qu'elle reçut dans cette occaſion de la part de ſa Majeſté Britannique, et qui furent ſouvent renouvellées par l'entremiſe des Ambaſſadeurs aux deux cours, pendant quatre ans juſqu'au moment fatal et deciſif de la declaration du Marquis de Noailles. Il s'agit donc de prouver que dans ces tems heureux de la tranquillité generale l'Angleterre cachoit une guerre ſecrette ſous les apparences de la paix, et que ſes procedés injuſtes et arbitraires etoient portés au point de legitimer du coté de la [6] France les démarches les plus fortes, et qui ne ſerol'nt permiſes qu'à un ennemi declaré. Pour remplir cet objet il faudroit porter devant le tribunal de l'Europe des griéfs clairement articulés et ſolidement etablis. Ce grand tribunal exigeroit des preuves formelles et peut-être reiterées de l'injure et de la plainte, le refus d'une ſatisfaction convenable, et la proteſtation de la partie ſouffrante qu'elle ſe tenoit hautement offenſée par ce refus, et quelle ſe regarderoit deſormais comme affranchie des devoirs de l'amitié et du lien des traités. Les nations qui reſpectent la ſainteté des ſermens et les avantages de la paix ſont les moins promptes à ſaiſir les occaſions qui ſemblent les diſpenſer d'une obligation ſacree et ſolemnelle, et ce n'eſt qu'en tremblant qu'elles oſent renoncer à l'amitié des puiſſances dont elles ont longtems eſſuye l'injuſtice et les inſultes.

Mais la cour de Verſailles a ignoré ou a mepriſé ces principes ſages et ſalutaires, et au lieu de poſer les fondemens d'une guerre juſte et legitime, elle ſe contente de ſemer dans tous les pages de ſon Manifeſte des plaintes vagues et generales, exprimées dans un ſtile de metaphore, et d'exagération. Elle remonte plus de ſoixante ans pour accuſer le peu de ſoin de l'Angleterre à ratifier quelques reglemens de commerce, quelques articles du Traité d'Utrecht. Elle ſe permet de reprocher aux Miniſtres du Roi d'employer le langage de la hauteur et de l'ambition ſans s'abaiſſer juſqu'au devoir de prouver des imputations auſſi peu vraiſemblables qu'elles ſont odieuſes. Les ſuppoſitions gratuites de la mauvaiſe foi et de l'ambition [7] de la cour de Londres ſont confuſément entaſſées, comme ſi l'on craignoit de s'y arreter. L'on inſinue d'une maniere très obſcure les inſultes pretendües qu'ont eſſuyés le commerce, le pavillon, et même le territoire François, ‘et on laiſſe echapper enfin l'aveu des engagemens que le Roi Très Chrêtien avoit dejà formés avec l'Eſpagne pour venger leurs griéfs reſpectifs, et pour mettre un terme à l'empire tyrannique que l'Angleterre a uſurpé et pretend conſerver ſur toutes les mers..’

Il eſt difficile de combattre des fantomes, ou de repondre d'une maniere nette et preciſe au langage de la declamation. La juſte confiance du Roi deſireroit ſans doute de ſe livrer à l'examen le plus approfondi de ces plaintes vagues, de ces griéfs pretendus, ſur leſquels la cour de Verſailles a ſi prudemment evité de s'expliquer avec la clarté et le detail qui pourroient ſeuls appuyer ſes raiſons, et faire exuſer ſes procedés. Pendant une paix de quinze ans les interêts de deux nations puiſſantes et peut-être jalouſes, qui ſe touchent par tant d'endroits differens dans l'ancien et dans le nouveau monde, fourniſſent inevitablement des ſujets de plainte et de diſcuſſion, que la moderation reciproque ſauroit toujours aſſoupir, mais qui ne ſont que trop facilement aigris et empoiſonnés par la haine réelle et les ſoupçons affectés d'un ennemi ſecret et ambitieux: et les malheurs de l'Amerique etoient très propres à multiplier les eſperances, les pretextes et les pretenſions injuſtes de la France. Cependant telle a été la conduite toujours uniforme et toujours pacifique du Roi et de ſes Miniſtres, qu'elle a ſouvent reduit ſes ennemis [8] au ſilence, et s'il eſt permis d'appercevoir le vrai ſens de ces accuſations vagues et equivoques, dont l'obſcurité etudiée décele les traits de la honte et de l'artifice, s'il eſt permis de demeler des objets qui n'ont point d'exiſtence, on peut aſſurer avec la hardieſſe de la verité qu'il eſt pluſieurs de ces griéfs, pretendus qui ſont annoncés pour la premiere fois dans une declaration de guerre ſans avoir jamais été propoſés à la cour de Londres dans le tems qu'elle auroit pû les écouter avec l'attention ſerieuſe et favorable de l'amitié. A l'egard des plaintes que l'Ambaſſadeur de ſa Majeſté Très Chrêtienne communiquoit de tems en tems aux Miniſtres du Roi, il ſeroit aiſé de donner ou plutot de renouveller les reponſes ſatiſfaiſantes qui prouverent aux yeux de la France elle-même la moderation du Roi, ſon amour de la juſtice, et la ſincerité de ſes diſpoſitions à conſerver la tranquillité generale de l'Europe. Ces repreſentations dont la cour de Verſailles pourroit ſe diſpenſer de rappeller le ſouvenir, etoient rarement marquées au coin de la raiſon et de la verité, et il ſe trouvoit le plus ſouvent que les perſonnes en Europe, en Amerique, cu ſur les mers, deſquelles elle tenoit ſon intelligence ſuſpecte et malfondée, n'avoient pas craint d'abuſer de ſa confiance, pour mieux ſervir ſes intentions ſecrettes. Si les faits que la France faiſoit valoir comme le ſujet de ſes plaintes etoient appuyés quelq uefois ſur une baſe moins fragile, les Miniſtres du Roi les eclairciſſoient ſur le champ par la juſtification la plus nette et la plus entiere des motifs et des droits de leur Souverain; qui pouvoit ſans bleſſer le repos public punir la contrebande qui ſe faiſoit ſur ſes côtes; et à qui les loix des nations accordoient le droit legitime d'arrêter tous les [9] vaiſſeaux qui portoient des armes et des munitions de guerre à ſes ennemis ou à ſes ſujets rebelles. Les tribunaux etoient toujours ouverts aux particuliers de toutes les nations, et il faut bien peu connoitre la conſtitution Britannique pour ſuppoſer que la puiſſance royale eut été capable de les exclure des moyens d'appel. Dans le theatre vaſte et eloigné des operations d'une guerre navale, la vigilance la plus active, l'autorité la plus ferme ſont incapables de decouvrir ou de réprimer tous les deſordres; mais toutes les fois que la cour de Verſailles a pu etablir des torts réels que ſes ſujets avoient eprouvés ſans la connoiſſance ou l'approbation du Roi, ſa Majeſté a donné les ordres les plus prompts et les plus efficaces pour arrêter les abus qui bleſſoient ſa dignité autant que les interêts de ſes voiſins, qui avoient été enveloppés dans les malheurs de la guerre. L'objet et l'importance de cette guerre ſuffiroient pour demontrer à l'Europe les principes qui ont dû regler les démarches politiques de l'Angleterre. Dans le tems qu'elle employoit ſes forces pour ramener à leur devoir les Colonies revoltées de l'Amerique, eſt il vraiſemblable qu'elle eut choiſi ce moment pour irriter par l'injuſtice ou l'inſolence de ſes procédés les puiſſances les plus reſpectables de l'Europe?—L'equité a toujours preſcrit les ſentimens et la conduite du Roi, mais dans cette occaſion importante ſa prudence même eſt le garand de ſa ſincerité et de ſa moderation.

Mais pour etablir clairement le ſyſteme pacifique qui ſubſiſtoit entre les deux nations, il ne faudroit qu'en appeller au temoignage même de la cour de Verſailles. A l'epoque où elle ne rougit pas de placer toutes ces infractions pretendües [10] de la tranquillité publique, qui auroient engagé ‘un Prince moins avare du ſang de ſes ſujets à uſer ſans heſiter de répréſailles et à repouſſer l'inſulte par la force de ſes armes,’ les Miniſtres du Roi Très Chrêtien parloient le langage de la confiance et de l'amitié. Au lieu d'annoncer les deſſeins de la vengeance avec ce ton de hauteur qui epargne du moins à l'injuſtice les reproches de perfidie et de diſſimulation, la cour de Verſailles cachoit la conduite la plus inſidieuſe ſous les profeſſions les plus ſéduiſantes; mais ces profeſſions mêmes ſervent aujourdhui à dementir ſes declarations, et à rappeller les ſentimens qui auroient dû faire la regle de ſa conduite.—Si la cour de Verſailles ne veut pas s'accuſer de la diſſimulation la moins digne de ſa grandeur, elle ſera forcée de convenir que juſqu'au moment qu'elle dicta au Marquis de Noailles la declaration qui a été reçue comme le ſignal de la guerre, elle ne connoiſſoit pas des ſujets de plainte aſſez réels ou aſſez importans pour l'autoriſer à violer les obligations de la paix, et la foi des Traités qu'elle avoit jurés à la face de Dieu et de l'univers; et à ſe diſpenſer de l'amitié nationale dont elle avoit réiterée juſqu'au dernier inſtant les aſſurances les plus vives et les plus ſolemnelles.

Lorſqu'un adverſaire eſt incapable de juſtifier ſa violence dans l'opinion publique, ou même à ſes propres yeux par les injures qu'il pretend avoir eſſuyées, il a recours au danger chimerique auquel ſa patience auroit pu l'expoſer; et à la place des faits ſolides dont il eſt depourvû, il eſſaye de ſubſtituer un vain tableau qui n'exiſte que dans ſon imagination, ou peut-être dans ſon coeur.—Les Miniſtres du Roi Très Chrêtien [11] qui paroiſſent avoir ſenti la foibleſſe des moyens qu'ils ont été reduits à employer, font encore des efforts impuiſſants pour ajouter à ces moyens l'appui des ſoupçons les plus odieux, et les plus etranges, ‘La cour de Londres faiſoit dans ſes ports des preparatifs et des armemens qui ne pouvoient avoir l'Amerique pour objet: leur but étoit par conſequent trop determiné pour que le Roi put s'y meprendre, et dès lors il devint un devoir rigoureux de faire des diſpoſitions capables de prevenir les mauvais deſſeins de ſon ennemi, &c. Dans cet etât des choſes le Roi ſentit qu'il n'y avoit pas un moment à perdu.’ Tel eſt le langage de la France: nous allons faire entendre celui de la verité.

Pendant les diſputes qui s'allumoient entre la Grande Bretagne et ſes Colonies, la cour de Verſailles s'etoit appliquée avec l'ardeur la plus vive et la plus opiniâtre à l'augmentation de ſa marine. Le Roi ne pretend pas regner en tyran ſur toutes les mers, mais il ſait que les forces maritimes ont fait dans tous les ſiecles la ſureté et la gloire de ſes etâts; et qu'elles ont ſouvent contribué à proteger la liberté de l'Europe contre la puiſſance ambitieuſe qui a ſi longtems travaillè à l'aſſervir.

Le ſentiment de ſa dignité et la juſte connoiſſance de ſes devoirs et de ſes interêts engagoient ſa Majeſt à veiller d'un oeil attentif ſur les démarches de la France, dont la politique dangereuſe, ſans motif et ſans ennemi, precipitoit dans tous ces ports la conſtruction et l'armement des vaiſſeaux, et qui [12] detournoit une pertie conſiderable de ſes revenus, pour ſubvenir aux frais de ces preparatiſs militaires, dont il etoit impoſſible d'annoncer la neceſſité ou l'objet.—Dans cette conjoncture le Roi n'a pu ſe diſpenſer de ſuivre les conſeils de ſa prudence, et l'exemple de ſes voiſins; l'augmentation ſucceſſive de leur marine a ſervi de regle à la ſienne; et ſans bleſſer les egards qu'elle devoit aux puiſſances amies, ſa Majeſte a publiquement declaré à ſon Parlement aſſemblé qu'il convenoit dans la ſituation actuelle des affaires, que la defenſe de l'Angleterre ſe trouvât dans un etat reſpectable. Les forces navales qu'elle fortifioit avec tant de ſoin n'etoient deſtinées qu'à maintenir la tranquillité generale de l'Europe, et pendant que le temoignage de ſa conſcience diſpoſoit le Roi à ajouter foi aux profeſſions de la cour de Verſailles, il ſe preparoit à ne point craindre les deſſeins perfides de ſon ambition.—Elle oſe maintenant ſuppoſer qu'au lieu de ſe borner aux droits d'une defenſe legitime le Roi s'etoit livré à l'eſperance des conquêtes, et que la ‘Reconciliation de la Grande Bretagne avec ſes Colonies anonçoit de ſa part un projet formé de les [...]allier à ſa couronne pour les armer contre la France.’ Puiſque la cour de Verſailles ne peut excuſer ſes demarches qu'à la faveur d'une ſuppoſition deſtituée de verité et de vraiſemblance, le Roi eſt en droit de la ſommer à la face de l'Europe, à montrer la preuve d'une aſſertion auſſi odieuſe qu'elle eſt hazardée, et à developer ces operations publiques, ou ces intrigues ſecrettes qui puiſſent autoriſer les ſoupçons de la France, que la Grande Bretagne après un combat long et penible n'a offert de la paix à ſes ſujets que dans le deſſein d'entreprendre une guerre nouvelle [13] contre une puiſſance reſpectable avec laquelle elle conſervoit tous les dehors de l'amitié.

Après avoir fidelement expoſé les motifs frivoles et les griéfs pretendus de la France, on rappelle avec une aſſurance juſtifiée par la raiſon et par les faits cette premiere propoſition ſi ſimple et ſi importante, qu'un etat de paix ſubſiſtoit entre les deux nations, et que la France etoit liée par toutes les obligations de l'amitié et des Traités envers le Roi, qui n'avoit jamais manqué à ſes engagemens legitimes.

Le premier article du Traité, ſigné à Paris le 10 Fevrier, 1763, entre leurs Majeſtés, Britannique, Très Chrêtienne, Catholique, et Très Fidele, confirme de la maniere la plus preciſe et la plus ſolemnelle les obligations, que le droit naturel impoſe à toutes les nations, qui ſe reconnoiſſent mutuellement pour amies, mais ces obligations ſont detaillées et ſtipulées dans ce Traité par des expreſſions auſſi vives qu'elles ſont juſtes.—Après avoir renfermé dans une formule generale tous les etats et tous les ſujets des hautes parties contractantes, elles annoncent leur reſolution non ſeulement à ne jamais permettre des hoſtilités quelconques par terre ou par mer, mais encore à ſe procurer reciproquement dans toute occaſion tout ce que pourroit contribuer à leur gloire, interêts ou avantages mutuels, ſans donner aucun ſecours ou protection directement ou indirectement à ceux qui voudroient porter quelque prejudice à l'une ou à l'autre des hautes parties contractantes.—Tel fut l'engagement ſacré que la France contracta avec la Grande Bretagne, et on ne ſauroit ſe diſſimuler qu'une ſemblable [14] promeſſe doit s'appliquer avec plus de force encore et d'energie aux rebelles domeſtiques qu'aux ennemis etrangers des deux couronnes.—La revolte des Americains a mis à l'epreuve la fidelité de la cour de Verſailles, et malgré les exemples frequens que l'Europe a deja vû de ſon peu de reſpect pour la foi des Traités, ſa conduite dans ces circonſtances a etonné et indigné toutes les nations, qui ne ſont pas aveuglément devouées aux interêts et même aux caprices de ſon ambition. Si la France s'etoit propoſée de remplir ſes devoirs, il lui etoit impoſſible de les meconnoitre; l'eſprit auſſi bien que la lettre du Traité de Paris lui impoſoit l'obligation de fermer ſes ports aux vaiſſeaux des Americains, d'interdire à ſes ſujets tout commerce avec ce peuple rebelle, et de ne point accorder ſon ſecours ni ſa protection aux ennemis domeſtiques d'une couronne, à laquelle elle avoit juré une amitié ſincere et inviolable. Mais l'experience avoit trop bien eclairé le Roi ſur le ſyſteme politique de ſes anciens adverſaires pour lui faire eſperer qu'ils ſe conformeroient exactement aux principes juſtes et raiſonnables qui aſſurent la tranquillité generale.

Auſſitot que les colonies revoltées eurent conſommé leurs attentats criminels, par la declaration ouverte de leur independance pretendue, elles ſongerent à former des liaiſons ſcrettes avec les puiſſances les moins favorables aux interêts de la mere patrie, et à tirer de l'Europe les ſecours militaires, ſans leſquels il leur auroit été impoſſible de ſoutenir la guerre qu'elles avoient entrepriſe. Leurs agens eſſayerent de penetrer et de ſe fixer dans les differens etats de l'Europe, mais [15] ce ne fut qu'en France qu'ils trouverent un azyle, des eſperances, et des ſecours. Il ne convient pas à la dignité du Roi de vouloir rechercher l'epoque ou la nature de la correſpondance qu'ils eurent l'addreſſe de lier avec les Miniſtres de la cour de Verſailles, et dont on vit bientôt les effets publics dans la liberté generale, ou plutot dans la licence effrenée d'un commerce illegitime. On ſait aſſez que la vigilance des loix ne peut [...] pas toujours prevenir la contrebande habile, qui ſe reproduit ſous mille formes differentes, et à qui l'avidité du gain fait braver tous les dangers, et eluder toutes les precautions; mais la conduite des negocians François, qui faiſoient paſſer en Amerique non ſeulement les marchandiſes utiles ou neceſſaires, mais encore le ſalpetre, la poudre à canon, les munitions de guerre, les armes, l'artillerie, annonçoit hautement qu'ils etoient aſſurés non ſeulement de l'impunité, mais de la protection même et de la faveur des Miniſtres de la cour de Verſailles.

On ne tentoit point une entrepriſe auſſi vaine et auſſi difficile que celle de cacher aux yeux de la Grande Bretagne, et de l'Europe entiere les demarches d'une compagnie de commerce, qui s'etoit aſſociée pour fournir aux Americains tout ce qui pouvoit nourrir et entretenir le feu de la revolte. Le public inſtruit nommoit le chef de l'entrepriſe dont la maiſon etoit etablie à Paris: ſes correſpondans à Donkerque, à Nantes, à Bordeaux etoient egalement connus. Les magazins immenſes qu'ils formoient et qu'ils renouvelloient tous les jours furent chargés ſucceſſivement ſur les vaiſſeaux qu'ils conſtruiſoient, ou qu'ils achetoient, et dont on eſſayoit à [16] peine de diſſimuler l'objet et la deſtination. Ces vaiſſeaux prenoient ordinairement de fauſſes lettres de mer pour les iſles Françoiſes de l'Amerique, mais les marchandiſes dont leurs cargiſons etoient compoſées ſuffiſoient avant le moment de leur depart pour laiſſer entrevoir la fraude et l'artifice: ces ſoupçons etoient bientot confirmés par la direction du cours de ces vaiſſeaux; et au bout de quelques ſemaines l'on apprenoit ſans ſurpriſe qu'ils etoient tombés entre le mains des officiers du Roi qui croiſoient dans les mers de l'Amerique, et qui les arretoient à la vue même des côtes des Colonies revoltées. Cette rigilance n'etoit que trop bien juſtifiée par la conduite de ceux qui eurent la fortune ou l'addreſſe de s'y derober; puiſqu'ils n'aborderent en Amerique que pour livrer aux rebelles les armes et les munitions de guerre dont ils etoient chargés pour leur ſervice.—Les indices de ces faits, qui ne pouvoient être conſiderés que comme une infraction manifeſte de la foi des Traités, ſe multiplioient toujours, et la diligence de l'Ambaſſadeur du Roi à communiquer à la cour de Verſailles ſes plaintes et ſes preuves ne lui laiſſoit pas même la reſſource honteuſe et humiliante de paroitre ignorer ce qui ſe paſſoit et ſe repetoit continuellement au coeur des ſes etats. Il indiquoit les noms, le nombre et la qualité des vaiſſeaux, que les agens du commerce de l'Amerique faiſoient equiper dans les ports de la France, pour porter aux rebelles des armes, des munitions de guerre, et même des officiers François qu'on avoit engagé dans le ſervice des Colonies revoltées. Les dates, les lieux, les perſonnes, etoient toujours deſignées avec une preciſion qui offroit aux Miniſtres de ſa Majeſté Très Chrêtienne les plus grandes facilités pour s'aſſurer de la verité de ces raports, et pour arrêter, pendant qu'il en etoit tems, le progrès de ces [17] armemens illicites.—Parmi une foule d'exemples qui accuſent le peu d'attention de la cour de Verſailles à remplir les conditions de la paix, ou plutot ſon attention conſtante et ſoutenlie à nourrir la diſcorde et la guerre, il eſt impoſſible de tout dire, et il eſt très difficile de choiſir les objets les plus frappans. Les neuf gros vaiſſeaux equipés et frettés par le Sieur de Beaumarchais et ſes aſſociés, au mois de Janvier de l'an 1777, ne ſont point confondus avec le vaiſſeau l'Amphitrite, qui porta vers le même tems une grande quantité de munitions de guerre, et trente officiers François, qui paſſerent impunément au ſervice des rebelles. Chaque mois, et preſque tous les jours, fourniſſoient des nouveaux ſujets de plainte; et une courte notice du Memoire que le Vicomte de Stormont, Ambaſſadeur du Roi, communiqua au Comte de Vergennes, au mois de Novembre de la même année, donnera une idée juſte, mais très imparfaite, de l'eſpece de torts que la Grande Bretagne avoit ſi ſouvent eſſu [...]es. ‘Il y a à Rochfort un vaiſſeau de ſoixante pieces de canon, et à l'Orient un vaiſſeau des Indes percé pour ſoixante canons. Ces deux vaiſſeaux ſont deſtinés pour l'uſage des rebelles. Ils ſeront chargés de differentes marchandiſes, et frétés par Meſſieurs Chaumont, Holken et Sabatier.—Le vaiſſeau l'Heureux eſt parti de Marſeilles, ſous un autre nom, le vingt-ſix de Septembre. Il va en droiture à la Nouvelle Hampſhire, quoiqu'il pretende aller aux Iſles. On y a permis l'embarquement de trois mille fuſils, et de deux mille cinq cents livres de ſouffre, marchandiſe auſſi neceſſaire aux Americains qu'elle eſt inutile dans les Iſles. Ce vaiſſeau eſt commandé par M. Lundi, officier François, [18] officier de diſtinction, ci-devant Lieutenant de M. de Bougainville.—L'Hippopotame, appartenant au Sieur Beaumarchais, doit avoir à ſon bord quatorze mille fuſils, et beaucoup de munitions de guerre, pour l'uſage des rebelles.—Il y a environ cinquante vaiſſeaux François, qui ſe preparent à partir pour l'Amerique Septentrionale, chargés de munitions de guerre, et de differentes marchandiſes, pour l'uſage des rebelles. Ils partiront de Nantes, de l'Orient, de St. Malo, du Havre, de Bordeaux, de Bayonne, et de differens autres ports. Voici les noms de quelques uns des principaux intéréſſés: M. Chaumont, M. Mention, et ſes aſſociés, &c. &c.’

Dans un royaume où la volonté du Prince ne trouve point d'obſtacle, des ſecours ſi conſiderables, ſi publics, ſi longtems ſoutenus, ſi neceſſaires enfin à l'entretien de la guerre en Amerique, annoncoient aſſez clairement les intentions ſecrettes des Miniſtres du Roi Très Chrêtien. Mais ils porterent bien plus loin l'oubli et le mépris des engagemens les plus ſolemnels, et ce ne fut point ſans leur permiſſion qu'une guerre ſourde et dangereuſe ſortoit des ports de la France, ſous le maſque trompeur de la paix, et le pavillon pretendu des Colonies Americaines. L'accueil favorable, que leurs agens trouverent auprès des Miniſtres de la cour de Verſailles, les encouragea bientot à former et à executer le projet audacieux d'etablir une place d'armes dans le païs qui leur avoit ſervi d'azyle. Ils avoient apporté, ou ils ſçurent fabriquer, des lettres de marque au nom du Congrès Americain, qui a eu la hardieſſe d'uſurper tous les droits de la ſouveraineté. Les [19] aſſociés, dont les vuës intéréſſées ſe pretoient ſans peine à tous leurs deſſeins, firent equiper des vaiſſeaux qu'ils avoient conſtruits ou achetés. On les arma pour aller en courſe dans les mers de l'Europe, et même ſur les côtes de la Grande Bretagne. Pour ſauver les apparences, les capitaines de ces corſaires arboroient le pavillon pretendu de l'Amerique: mais leurs equipages etoient toujours compoſés d'un grand nombre de François, qu'on enroloit avec impunité ſous les yeux même des governeurs, et des officiers des provinces maritimes. Un eſſaim nombreux de ces corſaires, animé par l'eſprit de rapine, ſortoit des ports de la France, et après avoir couru les mers Britanniques, ils rentroient, ou ils ſe reſugioient, dans ces mêmes ports. Ils y ramenoient leurs priſes, et à la faveur de l'artifice groſſier et foible, qu'on daignoit quelquefois emploier, la vente de ces priſes ſe faiſoit aſſez publiquement, et aſſez commodément, ſous les yeux des officiers roïaux, toujours diſpoſés à protéger le commerce de ces negocians qui violoient les loix, pour ſe conformer aux intentions du Miniſtere François. Les corſaires s'enrichiſſoient des dépouilles des ſujets du Roi, et après avoir profité d'une liberté entiere de reparer leurs pertes, de pourvoir à leurs beſoins, et de ſe procurer toutes les munitions de guerre, la poudre, les canons, les agrêts qui pouvoient ſervir à de nouvelles entrepriſes, ils reſortoient librement des mêmes ports, pour ſe remettre en mer et en courſe. L'hiſtoire du corſaire le Repriſal peut ſe citer parmi une foule d'exemples, qui montrent au jour la conduite injuſte, mais à peine artificieuſe, de la cour de Verſailles. Ce vaiſſeau, qui avoit amené en Europe le [20] Sieur Franklin, agent des Colonies revoltées, fut reçu avec ſes deux priſes qu'il avoit faites en route; il reſta dans le port de Nantes auſſi longtems qu'il convenoit à ſes vües, ſe remit deux fois en mer pour piller les ſujets du Roi, et ſe retira tranquillement à l'Orient avec de nouvelles priſes qu'il venoit de faire. Malgré les repreſentations les plus fortes de l'Ambaſſadeur du Roi, et les aſſurances les plus ſolemnelles des Miniſtres François, on permit au capitaine de ce corſaire de demeurer à l'Orient tout le tems dont il avoit beſoin pour radouber ſon vaiſſeau, de ſe pourvoir de cinquante bariques de poudre à canon, et de recevoir ſur ſon bord tous les matelots François qui vouloient bien s'engager avec lui. Muni de ces renforts, le Repriſal ſortit pour la troiſieme fois des ports de ſes nouveaux alliés, et forma bientôt une petite eſcadre de pirates, par la jonction concertée du Lexington et du Dolphin, deux armateurs, dont le premier avoit deja conduit plus d'une priſe à la riviere de Bordeaux, et dont le ſecond, armé à Nantes, et monté par un equipage entierement François, n'avoit rien d'Americain que le nom et ſon commandant.—Ces trois vaiſſeaux, qui jouiſſoient ſi publiquement de la protection de la cour de Verſailles, s'emparerent en très peu de tems de quin [...]e navires Anglois, dont la plupart furent ramenés et ſecrettement vendus dans les ports des France.—De pareils faits, qu'il ſeroit aiſé de multiplier, tiennent lieu de raiſonnemens et de reproches, et l'on peut ſe diſpenſer de reclamer dans cette occaſion la foi des Traités; et il n'eſt point neceſſaire de démontrer qu'une puiſſance alliée, ou même neutre, ne peut jamais permettre la guerre ſans violer la paix.—Les principes du droit des gens refuſeroient ſans doute à l'Ambaſſadeur de la couronne la [21] plus reſpectable ce privilege d'armer des corſaires, que la cour de Verſailles accordoit ſourdement aux agens des rebelles dans le ſein de la France. Dans ſes iſles la tranquillité publique fut violée d'une maniere encore plus audacieuſe, et malgré le changement du gouverneur, les ports de la Martinique ſervoient toujours d'azile aux corſaires qui couroient les mers ſous un pavillon Americain, mais avec un equipage François. Le Sieur Bingham, agent des rebelles, qui jouiſſoit de la faveur et de la confiance des deux gouverneurs ſucceſſifs de la Martinique, dirigeoit l'armement des corſaires, et la vente publique de leurs priſes. Deux vaiſſeaux marchands, le Lancaſhire Hero, et l'Iriſh Gimblet, qui devinrent la proie du Revenge, aſſurent que ſur cent-vingt-cinq hommes d'equipage il n'y avoit que deux Americains, et que le propriétaire, qui l'etoit en même tems de onze autres corſaires, ſe reconnoiſſoit pour habitant de la Martinique, où il etoit reſpecté comme le favori et l'agent ſecret du gouverneur lui même.

Au milieu de tous ces actes d'hoſtilité, qu'il eſt impoſſible de qualifier d'un autre nom, la cour de Verſailles continuoit toujours de parler le langage de la paix et de l'amitié, et ſes Miniſtres epuiſerent toutes les reſſources de l'artifice et de la diſſimulation pour aſſoupir les juſtes plaintes de la Grande Bretagne, pour tromper ſes ſoupçons, et pour arrêter les effets de ſon reſſentiment. Depuis la premiere epoque des troubles de l'Amerique juſqu'au moment de la declaration de guerre par le Marquis le Noailles, les Miniſtres du Roi Très Chrêtien ne ceſſoient de renouveller les proteſtations [22] les plus fortes et les plus expreſſes de leurs diſpoſitions pacifiques; et ſi la conduite ordinaire de la cour de Verſailles etoit propre à inſpirer une juſte défiance, le coeur de ſa Majeſté lui fourniſſoit des motifs puiſſans pour croire que la France avoit enfin adopté un ſiſteme de moderation et de paix, qui perpetueroit le bonheur ſolide et reciproque des deux nations. Les Miniſtres de la cour de Verſailles tâcherent d'excuſer l'arrivée et le ſejour des agens des rebelles, par l'aſſurance la plus forte qu'ils ne trouveroient en France qu'un ſimple azile ſans diſtinction et ſans encouragement.

La liberté du commerce et l'avidité du gain ſervirent quelquefois de pretexte pour couvrir les entrepriſes illegitimes des ſujets François, et dans le moment qu'on alleguoit vainement l'impuiſſance des loix pour prevenir des abus que des etats voiſins ſavoient ſi bien reprimer, on condamna, avec toutes les apparences de la ſincerité, le tranſport des armes et des munitions de guerre, qui ſe permettoit impunement, pour le ſervice des rebelles. Aux premieres répréſentations de l'Ambaſſadeur du Roi, au ſujet des corſaires qui s'armoient ſous le pavillon de l'Amerique, mais dans les ports de France, les Miniſtres de ſa Majeſté Très Chrêtienne repondirent par des expreſſions de ſurpriſe et d'indignation, et par la declaration poſitive, qu'on ne ſouffriroit jamais des entrepriſes auſſi contraires à la foi des Traités et à la tranquillité publique. La ſuite des evenements, dont on a deja vu un petit nombre, montra bientôt l'inconſtance ou plutôt la fauſſeté de la cour de Verſailles; et l'Ambaſſadeur du Roi fut chargé de mettre devant les yeux des Miniſtres François les conſequences ſerieuſes, [23] mais inévitables, de leur politique. Il remplit ſa commiſſion avec tous les egards qui ſont dûs à une puiſſance reſpectable, dont on deſireroit de conſerver l'amitié, mais avec la fermeté digne d'un ſouverain, et d'une nation, peu accoutumés à faire ou à ſupporter des injuſtices. La cour de Verſailles fut ſommée de s'expliquer, ſans delai et ſans detour, ſur ſa conduite et ſur ſes intentions, et le Roi lui propoſa l'alternative de la paix ou de la guerre.—Elle choiſit la paix, mais ce ne fut que pour bleſſer ſes ennemis d'une maniere ſûre et ſecrette, ſans avoir rien à craindre de leur juſtice. Elle condamna ſeverement ces ſecours et ces armemens, que les principes du droit public ne lui permettoient pas de juſtifier. Elle declara à l'Ambaſſadeur du Roi, qu'elle etoit reſolüe à fair ſortir ſur le champ les corſaires Americains de tous les ports de France, pour n'y jamais rentrer, et qu'on prendroit deſormais les précautions les plus rigoureuſes pour arrêter la vente des priſes qu'ils auroient faites ſur les ſujets de la Grande Bretagne. Les ordres qui furent donnés pour cet effet etonnerent les partiſans des rebelles, et ſemblerent arrêter le progrés du mal: mais les ſujets de plainte renaiſſoient tous les jours, et la maniere dont ces ordres ſurent d'abord eludés, violés enſuite, et enfin tout-à-fait oubliés par les negocians, les corſaires, et même par les officiers royaux, n'etoit point excuſée par les proteſtations d'amitié dont la cour de Verſailler accompagna ces infractions de la paix, juſqu'à ce moment qu'elle annonça, par ſon Ambaſſadeur à Londres, le Traité d'Alliance qu'elle venoit de ſigner avec les agens des Colonies revoltées de l'Amerique.

[24] Si un ennemi étranger, reconnû parmi les puiſſances de l'Europe, avoit fait la conquête des etâts du Roi dans l'Amerique, et que la France eut confirmé, par un Traité ſolemnel, un acte de violence qui depouilloit, au milieu d'une paix profonde, le voiſin reſpectable dont elle ſe diſoit l'amie et l'alliée, l'Europe entiere ſe ſeroit ſoulevée contre l'injuſtice d'un procedé qui violoit ſans pudeur tout ce qu'il y a de plus ſaint parmi les hommes. La premiere decouverte, la poſſeſſion non interrompüe de deux cent ans, et le conſentement de toutes les nations, auroient ſuffi pour conſtater les droits de la Grande Bretagne aux terres de l'Amerique Septentrionale, et ſa ſouveraineté ſur le peuple qui y avoit formé des etabliſſemens avec la permiſſion et ſous le gouvernement des predeceſſeurs du Roi. Si ce peuple même a oſé ſecoüer le joug de l'autorité, ou plutôt des loix, s'il a uſurpé les provinces et les prerogatives de ſon ſouverain, et s'il a recherché l'alliance des etrangers pour appuïer ſon independance pretendüe; ces etrangers ne peuvent accepter ſon alliance, ratifier ſes uſurpations, et reconnoitre ſon independance, ſans ſuppoſer que la revolte a des droits plus etendus que ceux de la guerre, et ſans accorder aux ſujets rebelles un titre legitime aux conquêtes qu'ils n'avoient pû faire qu'au mepris de la juſtice et des loix. Les ennemis ſecrets de la paix, de la Grande Bretagne, et peut être de la France même, eurent cependant l'addreſſe criminelle de perſuader à ſa Majeſté Très Chrêtienne qu'elle pouvoit, ſans violer la foi des Traités, declarer publiquement, qu'elle recevoit au nombre de ſes alliés les ſujets revoltés d'un Roi, ſon voiſin et ſon allié. Les profeſſions d'amitié, dont on accompagna cette declaration que le [25] Marquis de Noailles fut chargé de faire à la cour de Londres, ne ſervoient qu'aggraver l'injure par l'inſulte, et il etoit reſervé pour la France de ſe vanter de ſes diſpoſitions pacifiques dans l'inſtant même que ſon ambition lui inſpira d'executer et d'avouer un acte de perfidie ſans exemple dans l'hiſtoire des nations. ‘Cependant, tel eſt le langage que la cour de Verſailles oſe encore ſe permettre, Cependant ce ſeroit s'abuſer de croire que c'eſt la reconnoiſſance que le Roi a fait de l'independance des treize etats unis de l'Amerique Septentrionale qui a irrité le Roi d'Angleterre: ce Prince n'ignore pas ſans doute tous les exemples de ce genre que fourniſſent les annales Britanniques, et même ſon propre regne.’—Jamais ces exemples pretendus n'ont exiſté.—Jamais le Roi n'a reconnu l'independance d'un peuple qui avoit ſecoué le joug de ſon Prince legitime; et il eſt triſte ſans doute que les Miniſtres de ſa Majeſté Très Chrêtienne aient ſurpris la religion de leur ſouverain pour couvrir d'un nom auſſi reſpectable des aſſertions ſans fondement et ſans vraiſemblance, qui ſont dementies par le ſouvenir de l'Europe entiere.

Au commencement des diſputes qui s'elevoient entre la Grande Bretagne et ſes Colonies, la cour de Verſailles declara qu'elle ne pretendoit point être juge de la querelle; et ſon ignorance des principes de la conſtitution Britannique, auſſi bien que des privileges et des obligations des Colonies, auroit dû l'engager à perſiſter toujours dans une declaration auſſi ſage et modeſte. Elle ſe ſeroit épargné la honte de tranſcrire les Manifeſtes du Congrès Américain, et de prononcer aujourdhui, ‘Que les procédés de la cour de Londres ſorcerent ſes anciennes Colonies de recourir à la voie des armes pour maintenir leurs droits, leurs privileges, et leur liberté.’ Ces [26] vains pretextes ont deja été refutés de la maniere la plus convaincante, et les droits de la Grande Bretagne ſur ce peuple revolté, ſes bienfaits, et ſa longue patience, ont été deja prouvés par la raiſon et par les faits. Il ſuffit ici de remarquer, que la France ne peut ſe prevaloir de l'injuſtice qu'elle reproche à la cour de Londres ſans introduire dans la juriſprudence de l'Europe des maximes auſſi nouvelles qu'elles ſeroient fauſſes et dangereuſes; ſans ſuppoſer que les diſputes qui s'elevent au ſein d'un etât independant et ſouverain ſont ſoumiſes à la juriſdiction d'un prince etranger, et que ce prince peut evoquer à ſon tribunal ſes alliés et leurs ſujets revoltés, pour juſtifier la conduite du peuple qui s'eſt affranchi des devoirs de l'obeiſſance legitime. Les Miniſtres du Roi Très Chrêtien s'appercevront peut-être un jour que l'ambition les a fait oublier les interêts et les droits de tous les ſouverains. L'approbation que la cour de Verſailles vient de donner à la revolte des Colonies Angloiſes ne lui permettroit pas de blamer le ſoulevement de ſes propres ſujets dans le nouveau monde ou de ceux de l'Eſpagne, qui auroient des motifs bien plus puiſſans pour ſuivre le même exemple, s'ils n'en etoient point détournés par la vüe des calamités dans leſquelles ces malheureuſes Colonies ſe ſont précipitées.

Mais la France elle-même paroit ſentir la foibleſſe, le danger, et l'indecence de ces pretenſions, et ſe relâchant dans la declaration du Marquis de Noailles auſſi bien que dans le dernier Manifeſte, ſur le droit de l'independance, elle ſe contente de ſoutenir, que les Colonies revoltées jouiſſoient dans le fait de cette independance qu'elles s'etoient donnée; que l'Angleterre même l'avoit en quelque ſorte reconnüe elle-même [27] en laiſſant ſubſiſter des actes qui tiennent à la ſouveraineté, et qu'ainſi la France ſans violer la paix pouvoit conclure un Traité d'amitié et de commerce avec les etats unis de l'Amerique Septentrionale.—Voici de quelle maniere la Grande Bretagne avoit reconnu cette independance egalement imaginaire dans le droit et dans le fait. Deux ans ne s'etoient pas encore paſſés depuis le jour que les rebelles avoient declaré leur reſolution criminelle de ſecouer le joug de la mere-patrie, et ce terme avoit été rempli par les evenements d'une guerre ſanglante et opiniatre. Les ſuccès avoient été balancés, mais l'armée du Roi, qui occupoit les plus importantes des villes maritimes, continuoit toujours de menacer les provinces interieures; le pavillon Anglois regnoit ſur toutes les mers de l'Amerique; et le retabliſſement de ſa dependance legitime etoit poſé comme la condition indiſpenſable de la paix que la Grande Bretagne offroit à des ſujets revoltés, dont elle reſpectoit les droits, les interêts, et même les prejugés. La cour de Verſailles qui annonce avec tant "de franchiſe et de ſimplicité" le Traité ſigné avec ces pretendus etats de l'Amerique, qu'elle trouvoit dans une ſituation independante, avoit ſeule contribué par ſes ſecours clandeſtins à nourrir le feu de la revolte, et ce fut la crainte de la paix qui engagea la France à ſe ſervir du bruit de cette alliance comme du moïen le plus efficace pour enflammer les eſprits des peuples qui commençoient deja à ouvrir les yeux ſur les ſuites malheureuſes de la revolte, la tirannie de leurs nouveaux chefs, et les diſpoſitions paternelles de leur ſouverain legitime.

Dans ces circonſtances il eſt impoſſible de nier ſans inſulter trop groſſierement à la raiſon et à la verité, que la Declaration [28] du Marquis de Noailles du 13 Mars de l'année derniere ne dût être reçue comme une veritable declaration de guerre de la part du Roi Très Chrêtien; et les aſſurances ‘qu'il avoit pris des meſures eventuelles avec les etats unis de l'Amerique, pour ſoutenir la liberté d'un commerce,’ qui avoit tant de fois excité les plaintes legitimes de la Grande Bretagne, autoriſoient le Roi à conſiderer dès ce moment la France au nombre de ſes ennemis. La cour de Verfailles ne peut pas s'empêcher de reconnoitre que le Roi d'Angleterre après avoir rappellé ‘ſon Ambaſſadeur, denonça à ſon Parlement la demarche de ſa Majeſté comme un acte d'hoſtilité, comme une aggreſſion formelle et premeditée.’ Telle fut, il eſt vrai, la declaration que l'honneur et la juſtice exigerent du Roi, et qu'il communiqua ſans delai à tous ſes Miniſtres dans les differentes cours de l'Europe, pour juſtifier d'avance les effets d'un reſſentiment legitime. Dès lors il eſt aſſez inutile de rechercher les ordres qui furent envoïés aux Indes Orientales, de marquer le jour précis auquel les flottes d'Angleterre ou de France ſortirent de leurs ports reſpectifs, ou d'examiner les circonſtances de la priſe de la Belle Poule et de deux autres frégates qui furent effectivement enlevées à la vüe même des côtes de la France. Dès lors le reproche qu'on ſe permet de faire au Roi d'avoir ſi long tems ſuſpendu la declaration formelle de la guerre, s'evanouit de lui même. Ces declarations ne ſont que des moïens dont les nations ſont reciproquement convenuës pour eviter la trahiſon et la ſurpriſe; mais les ceremonies qui annoncent ce changement terrible de la paix à la guerre, les hérauts, les proclamations, [29] les manifeſtes, ne ſont jamais neceſſaires et ne ſont pas toujours les mêmes. La declaration du Marquis de Noailles fut le ſignal de l'infraction publique de la paix: Le Roi proclama ſur le champ à toutes les nations qu'il acceptoit la guerre que la France lui offroit; les demarches ulterieures de ſa Majeſté etoient du reſſort de ſa prudence plutôt que de ſa juſtice, et l'Europe peut juger maintenant ſi la cour de Londres manquoit de ‘Moïens pour juſtifier une déclaration de guerre, et ſi elle n'oſoit pas accuſer publiquement la France d'etre l'aggreſſeur.’

Puiſque l'alliance de la France avec les Colonies revoltées de l'Amerique avoit été une infraction manifeſte de la paix et le motif legitime de la guerre, la cour de Verſailles devoit naturellement s'attendre qu'à la premiére propoſition d'un accommodement entre les deux couronnes, le Roi exigeroit de ſa part qu'on lui accordât une juſte ſatisfaction ſur un objet auſſi important, et que la France renonçat à ces liaiſons qui avoient forcé ſa Majeſté à prendre les armes. La ſurpriſe affectée que les Miniſtres du Roi Très Chrêtien font paroitre aujourd'hui de la fermeté de la cour de Londres eſt aſſez conforme à l'orgueil qui leur dicta des conditions de paix que les plus grands ſuccés auroient à peine juſtifiées; et la propoſition qu'ils hazarderent pour engager le Roi à retirer ſes troupes de l'Amerique, et à reconnoitre l'independance de ſes ſujets revoltés, ne pouvoit qu'exciter l'etonnement et l'indignation de ſa Majeſté. Le peu d'ouverture que la cour de Verſailles trouva à une eſperance auſſi vaine, l'obligea bientot à ſe replier d'une autre maniere, il a propoſé, par l'entremiſe de la cour de Madrid, un projet d'accommodement [30] moins offenſant peut-être dans la forme, mais auſſi peu admiſſible par le fonds. Le Roi Catholique avec le conſentement de la France communiqua aux Miniſtres du Roi la propoſition d'une trève à longues années, ou bien d'une ſuſpenſion generale et indefinie de toutes hoſtilités, pendant laquelle les Colonies revoltées, les pretendus etats unis de l'Amerique Septentrionale, ſeroient traités comme independans de fait. La reflexion la plus ſimple ſuffit pour découvrir l'artifice de ce projet inſidieux, et pour juſtifier aux yeux de l'Europe le refus du Roi. Entre les ſouverains qui ſe reconnoiſſent mais qui ſe combattent, les trèves à longues années, les ſuſpenſions d'hoſtilités ſont les moïens doux et ſalutaires pour applanir les difficultés qui s'oppoſent à l'entiere concluſion d'une paix qu'on revoïe ſans diſgrace et ſans danger à un moment plus favorable. Mais dans la querelle domeſtique de la Grande Bretagne et ſes Colonies, la ſouveraineté même, l'independance de droit ou de fait, eſt l'objet de la diſpute; et la dignité du Roi ne lui permettoit point d'accepter ces propoſitions qui accordoient dès l'entrée de la négociation tout ce qui pouvoit contenter l'ambition des Americains rebelles, pendant qu'elles exigerent de ſa Majeſte que ſans aucune ſtipulation en ſa faveur, elle ſe deſiſtât pendant un terme long ou indefini des pretentions les plus legitimes. La cour de Verſailles daignoit, il eſt vrai, conſentir, que celle de Londres traitât avec le Congrès ſoit directement, ſoit par l'entremiſe du Roi d'Eſpagne. Sa Majeſte aſſurement ne s'abbaiſſera point juſqu'à ſe plaindre de cet orgueil, qui ſemble lui accorder comme une grace la permiſſion de traiter directement avec ſes ſujets rebelles. Mais ſi les Americains eux mêmes ne ſont pas aveuglés par la [31] paſſion, et la prevention, ils verront clairement dans le procédé de la France que leurs nouveaux alliés deviendroient bientôt leurs tirans; et que cette independance pretendüe, achetée par tant de malheurs et tant de ſang, ſeroit ſoumiſe à la volonté deſpotique d'une cour etrangere.

Si la France pouvoit verifier cet empreſſement qu'elle attribue à la cour de Londres à rechercher la mediation de l'Eſpagne, un pareil empreſſement ſerviroit à prouver la juſte confiance du Roi dans la bonté de ſa cauſe, et ſon eſtime pour une nation généreuſe qui a toujours mepriſé la fraude et la perfidie. Mais la cour de Londres eſt forcée à convenir que la mediation lui fut offerte par les Miniſtres du Roi Catholique, et qu'elle n'a d'autre merite que celui d'avoir fait paroître dans toutes les occaſions une inclination vive et ſincere de delivrer ſes ſujets et même ſes ennemis du fléau de la guerre. La conduite de la cour de Madrid pendant cette negociation fit bientôt connoitre au Roi qu'un mediateur qui oublioit ſes interêts les plus chers pour ſe livrer à l'ambition et au reſſentiment d'une puiſſance etrangere, ſeroit incapable de propoſer un accommodement ſûr ou honorable. L'experience confirma ces ſoupçons: le projet injuſte et inadmiſſible qu'on vient d'expoſer fut le ſeul fruit de la mediation. Et l'inſtant même que les Miniſtres du Roi Catholique offroient avec les profeſſions les plus deſintereſſées ſa capitale, ſes bons offices, ſa garantie pour faciliter la concluſion du Traité, ils laiſſerent entrevoir dans le fonds. de l'obſcurité, de nouveaux ſujets de diſcuſſion qui regardoient particulierement l'Eſpagne, mais ſur leſquels ils refuſerent [32] toujours de s'expliquer. Le refus de ſa Majeſté d'acceder à l'Ultimatum de la cour de Madrid fut accompagné de tous les menagemens et de tous les egards convenables; et à moins que cette cour ne s'arrogeât le droit de dicter les conditions de paix à un voiſin independant et reſpectable, il ne ſe paſſa rien dans cette conjoncture qui dût alterer l'harmonie des deux couronnes. Mais les demarches offenſives de l'Eſpagne, qu'elle n'a jamais pû revêtir des plus foibles apparences de l'equité, montrerent bientot que ſa reſolution etoit deja priſe, et que cette reſolution lui avoit été inſpirée par le Miniſtere François, qui n'avoit retardé la declaration de la cour de Madrid que dans l'eſperance de porter ſous le maſque de l'amitié un coup mortel à l'honneur et aux interêts de la Grande Bretagne.

Tels ſont les ennemis injuſtes et ambitieux qui ont mépriſé la foi des Traités pour violer la tranquillite publique, et contre leſquels le Roi defend maintenant les droits de ſa couronne et de ſon peuple. L'evenement eſt encore dans la main du Tout-puiſſant; mais ſa Majeſté, qui ſe confie avec une aſſurance ferme mais humble dans la protection Divine, ſe perſuade que les voeux de l'Europe appuïeront la juſtice de ſa cauſe, et applaudiront au ſuccès de ſes armes; qui n'ont point d'autre objet que de retablir le repos des nations ſur une baſe ſolide et inébranlable.

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